
ADN Business
DécryptagesPar le biais des tests « récréatifs », l’ADN est devenue un sujet brûlant. Elle pose autant de questions sur la vulnérabilité des données générées, que d’opportunités sur un niveau de connaissance inédit de soi et des foules.
Début 2019, treize ans après l’émergence de la première société d’ADN récréative, la quantité de profils génétiques stockée atteignait 26 millions de personnes selon les derniers chiffres de l’industrie. Une croissance exponentielle de plus 500% depuis 2017 (+22 millions en 2 ans). La raison : le contexte est à l’incertitude – sociale, politique, et environnementale – et la plupart d’entre nous la trouve inconfortable.
Le magazine du MIT estime que si la tendance se confirme, le marché pourrait concerner 100 millions de personnes en 2021. De quoi alimenter autant les perspectives économiques sur le secteur que les questions sur la confiance et la confidentialité.

Reconnaissance génétique récréative
Derrière les phénomènes AncestryDNA (10 millions de profils) et 23andMe (5 millions de profils) aux Etats-Unis – 57% des parts de marché -, la liste des acteurs qui bouleversent le secteur s’agrandit, principalement outre-atlantique avec Color, Living DNA, FamilyTreeDNA, iGenea, Nebula Genetics… Avec des prix dérisoires à la clef, elles proposent une reconnaissance génétique qui permet pour le consommateur, de connaitre ses origines ancestrales, ses liens de parenté avec d’autres, ou encore de savoir de quelle région proviennent ses aïeux.

Et les clients qui téléchargent leurs données sur ces sites peuvent ensuite les ajouter aux sites de généalogie public tels que Gedmatch, qui a acquis une certaine notoriété l’année dernière. Une logique qui permet aujourd’hui d’identifier 60% des américains d’origine nord-européenne (selon Inc).
En Europe – et même si l’ADN à des fins récréative est encore interdite en France et en Allemagne – les perspectives s’ouvrent doucement. Après qu’Ancestry ai récemment développé une filiale en Irlande et au Royaume Uni, MyHeritage (2,5 millions de profils) se développe rapidement et vient de traduire son site en 42 langues, avec la perspective d’un marché européen qui devrait doubler d’ici 2024 selon le media Vox Pop.
Faire les meilleurs choix pour soi
Une fois quantifiées et analysées, les données biométriques peuvent révéler des tendances dans nos activités. Et en conséquence, elles révèlent beaucoup de choses sur qui nous sommes, sur ce que nous pensons, et sur ce que nous sommes susceptibles de faire ensuite : « êtes-vous plus susceptible d’atteindre un niveau d’endurance supérieur ? Avez-vous une capacité surnaturelle à produire du langage ? »
Mieux connaitre ses caractéristiques génétiques pour orienter son mode de vie.
Aux Etats-Unis, pour 29 dollars, Orig3n fait figure de chef de file avec des tests qui permettent de mesurer sa force, son intelligence et sa vitesse de réaction naturelle. Et plus qu’un diagnostique médical, elle s’affiche comme un « aperçu de potentiel » ou une analyse de traits de caractères, à vocation d’un « connais-toi toi-même » qui veut apporter de nouvelles certitudes.

D’autres acteurs se proposent d’expliquer génétiquement ses goûts et appétences, comme orchestré dans le récent partenariat entre la plateforme de streaming Spotify, et la société américaine AncestryDNA et ainsi d’écouter une musique qui correspond à son profil ethnique.

Des acteurs comme EverlyWell se lancent aussi sur ce segment avec une orientation santé qui propose de mener une vie meilleure en connaissant ses attributs naturels ; sensibilités alimentaires, fertilité, testostérone… et de se comparer à ses pairs.

Des évolutions dans la façon de se connaitre qui, selon une étude de la Genome Wide Association Study, pourraient même en dire long sur notre niveau de richesse, ou notre éducation.
« Privacy is dead »
En 2019, nous n’avons plus d’espoir de confidentialité au sens « total » décrypte Amy Webb, fondatrice du Future Today Institute, au festival South by SouthWest. En s’appuyant sur la croissance du stockage de ces données ; sur les connivences Google-23andMe ; et le fait que l’année dernière, la même société a reçu 300 millions de dollars pour partager ses données avec la société pharmaceutique GlaxoSmithKline aux Etats-Unis (Business Insider). Avec l’objectif de plus en plus ineffacé de devenir une bio banque.
Les données, comme beaucoup l’ont noté, sont devenues la nouvelle huile, ce qui signifie que nous ne considérons plus les informations que nous stockons comme un simple coût d’activité, mais un atout précieux et une source potentielle d’avantage concurrentiel. C’est devenu le carburant qui alimente les technologies avancées telles que le machine learning. Mais aussi le moyen d’une personnalisation extrême de l’expérience client.
Quid de la cession d’ADN, en échange d’une rétribution ou de la participation à un « mieux être » individuel et collectif ?
A ces injonctions collectives, des acteurs comme Family Tree DNA répondent : « Donnez-nous votre ADN. Contribuez à coincer un criminel » pour accentuer le positif d’une base de données génétiques ouverte, notamment dans la résolution des affaires de santé public et de criminalité. En témoigne la résolution de l’affaire du Golden State Killer l’année dernière, résolu grâce au recours à ces bio-banques privées.
De là à instaurer un meilleur climat de confiance sur le marché ? Pas encore. Même si 91% des américains soutiennent l’utilisation de la généalogie dans le cadre d’enquêtes sur des crimes violents, c’est la potentialité des discriminations sur leur patrimoine génétique qui est le plus grand frein à l’expansion du marché, notamment en Europe.
Le Future Today Institute émet même la possibilité d’une réaction à cet élan du « tout biométrique » de la part du consommateur, avec un comportement de « camouflage » institué dans ses scénarios moyen et long terme. Des réponses qui pourraient être des segments nouveaux pour les acteurs de la mode et de la beauté avec l’idée de tromper les algorithmes à reconnaissance faciale.
Photo de couverture © EverlyWell