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© Impact Fund For African Creatives (IFFAC)
Timothée Richard 14.12.20

Afroptimisme

Décryptages

Passée la focalisation sur sa jeunesse et son potentiel de croissance, le continent africain est le véhicule d’un radical optimisme et de nouvelles influences esthétiques.

Comptant déjà 1,2 milliard d’habitants en 2017, le continent Africain devrait en accueillir le double – soit  2,5 milliards – en 2050 (INED).
Alors que les puissances économiques – en tête desquelles la Chine – se jettent sur le potentiel du marché africain et de ses consommateurs, le continent est méconnu dans les domaines de la vie culturelle, de l’innovation, et de l’art de vivre. Grâce à la qualité de ses talents, son élan d’innovation et ses courants d’influence, le continent africain offre une vague d’optimisme inédite pour le reste du monde. 

 
Optimisme et nouvelles donnes sur les investissements 
Après que 128 économies aient mis en œuvre un nombre record de 315 réformes réglementaires destinées à améliorer le climat des affaires (entre juin 2017 et mai 2018)le rapport Doing Business 2019 de la Banque Mondiale a classé pour la première fois certaines économies africaines, parmi lesquelles l’Île Maurice et le Rwanda, devant certaines économies européennes – la France, l’Espagne et l’Italie – sur le critère de la « facilité à faire des affaires ».

La région compte aussi 4 des 10 économies les plus réformatrices de l’année 2018 : le Togo, le Kenya, la Côte d’Ivoire et le Rwanda.
Fin octobre 2018, le géant chinois Alibaba choisit le Rwanda pour lancer WTP Africa (WTP pour World Trade Platform), la première plateforme mondiale de commerce électronique pour l’Afrique. Elle permettra notamment la commercialisation de produits locaux sur le réseau d’Alibaba. Et donc de galvaniser les entreprises locales. Du jamais vu sur le continent, porté par le premier ministre rwandais Edouard Ngirente, qui vise officiellement à établir un pôle d’économie de la connaissance au niveau mondial.
Dans la foulée, le pays a annoncé la construction d’un futur hub de l’innovation digitale de 70 hectares dans sa capitale.
La Kigali Innovation City, première continentale, vise à s’inspirer du modèle de créativité américain pour devenir un pôle de la tech sociale en Afrique de l’Est.

©MyChicAfrica – Kigali Innovation City

S’agissant des industries créatives, l’Impact Fund for African Creatives (IFFAC), créé par l’African Fashion Fund (AFF) et l’Ethical Fashion Initiative (EFI) à l’occasion du Forum de Paris sur la Paix, ont lancé « Fashion for Peace ». Un engagement financier de près de 100 millions d’euros sur une durée de huit ans accompagne l’idée de construire et de nourrir l’indépendance des talents sur le continent.

« No Wax », nouvelle alternative ?
Dans le domaine de la création, c’est la mode qui tire le mieux son épingle du jeu. 
Un essor mondial qui se vérifie sur Instagram – où le nombre de publications mentionnant le hashtag #africanfashion est estimé début 2019 à 1,1 millions par jour (à comparer aux 1,6M/jour de #ethiccalfashion) et dans sa capacité à exporter ses influences au delà des frontières.
Après le succès de la traditionnelle Wax Africaine aux USA et en Europe  – Maison Château RougeOrange culture, ou Nash prints it par exemple – le continent s’emballe sur des identités créatives plus modernes comme Ek An Tik, son identité épurée proche du workwear et son crédo #doingitforafrica.  

©Ek An Tik – FW 2018

Au cœur des pays de l’Afrique de l’Est – Ethiopie, Kenya, Rwanda, Tanzanie – le « no wax » distingue les créatifs comme Khadija Aisha Ba, fondatrice de L’artisane. Mix d’un héritage handcrafted, de couleurs fortes, et de lignes plus novatrices. 
Aux Etats-Unis, le travail d’Aurora James pour sa marque Brother Vellies – comptant parmi les 34 personnalités qui incarnent « the Art of Optimism » selon le Time Magazine – est salué pour sa démarche de collaboration entre l’artisanat africain et le mode contemporain, lui permettant de se connecter aux autres continents. Ou a contrario, de s’en émanciper.

©The Art of Optimism – Time Magazine (feb 18-feb 25 2019)

Elan d’influence sur les arts classiques 
Le septième art s’illustre également par un élan d’innovation. 
La première édition du Online African Film Festival (OAFF) en novembre 2018 a offert, via une plateforme de streaming, une exposition internationale à une trentaine d’œuvres du continent parmi lesquelles les long métrages Félicité, du franco-sénégalais Alain Gomis ou Rafiki de la très engagée kényane Wanuri Kahiu.

Extrait de « Rafiki » de Wanuri Kahiu.

Dans la photographie et le design c’est le sénégalais Omar Viktor Diop qui bouscule les idées qu’on peut se faire de l’art de vivre africain. Via son projet Diasporail dépeint une réalité visuelle à mi-chemin entre identité et découverte, racontant une histoire rarement partagée de l’influence africaine hors d’Afrique.

© Omar Viktor – Diaspora

Le boom de la scène créative à l’Est est incarné par l’illustrateur Ed Wainaina, 22 ans, et son mouvement NuNairobi – qui comprend les talents Lyra AokoBlinky Bill ou Muthua Matheka au sein de la capitale kényane. Un mix entre street-art et narration sous-jacente à disposition des marques internationales.
A l’Ouest, l’univers de Laeticia Ky fait aussi parler de lui par sa capacité à apporter une vision qui rompt également avec les esthétiques traditionnelles.

© Ed Wainaina (Kénya) & Laeticia Ky (Côte d’ivoire)

Nouveaux éléments d’une vague qualifiée de « fearless » par Vogue et nouvel avènement d’un African way of life captivant, qui devra aussi répondre au défi parallèle de l’indépendance de ses infrastructures et de son industrie.

Interview d’expert : Gaël Clouzard, Co-fondateur de MyChicAfrica 

1/ MyChicAfrica s’est lancée il y a un an avec l’idée d’être la première plateforme media lifestyle du continent africain. Quels insights créatifs pouvez-vous partager avec nous ? 
Quel que soit les pays visités (Kenya, Côte d’Ivoire, Sénégal, Afrique du Sud), il y a un dynamisme et une audace créative débordants sur le continent. 
L’un des insights qui a retenu notre attention provient de l’Afrique de l’Est et de plusieurs créateurs basés à Nairobi, la place forte de la mode dans cette partie du continent. Il y a une envie de s’émanciper d’une forme d’authenticité africaine, ne pas reproduire les codes esthétiques tribaux qui aujourd’hui personnifient le continent… En résumé : fini les tendances masai, savanes… Les créateurs que l’on rencontre veulent repartir d’une feuille blanche et montrer que la création africaine peut surprendre et innover vers des territoires radicalement différents de ce que l’on attend des africains. 
Le second insight, c’est le rejet de la culture Wax qui provient de l’Afrique de l’Ouest et qui ne peut représenter l’intégralité des pays africains.  En particulier, l’Afrique de l’Est qui ne se reconnait pas et rejette ce tissu pourtant devenu en une décennie l’icône de la mode africaine.
Une chose est sure : raconter des histoires est une constance de la créativité africaine.

 

2/ Qui sont les créatifs qui bousculent l’image qu’on a du continent ? 
En matière de mode, je citerais Katungulu Mwenda. Elle est très intéressante à suivre. Elle incarne l’introspection identitaire d’une mode « est-africaine » en quête de reconnaissance continentale. 
En matière d’architecture, j’apprécie le travail du zimbawéen Mick Pearce qui pour concevoir un système de ventilation naturel s’est inspiré des méthodes de thermorégulation des termitières en remplacement d’un réseau d’air conditionné énergivore. De la créativité et de l’innovation biomimétique 100% africaine.
La nigérienne Mariam Kamara représente également une nouvelle génération de designers africains. Sa vision passe par une architecture profondément identitaire. Quel que soit l’endroit où on se trouve, c’est une manière de se représenter. 
En Afrique, on sait où l’on va quand on sait d’où l’on vient…

© Katungulu Mwanda

Crédit de couverture ©Impact Fund For African Creatives (IFFAC)

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