
Génération Zen : portrait d’un masculin apaisé
Après plusieurs années placées sous le signe des générations Y et Z, l’humeur est en train de changer. Les hommes issus de la génération X reviennent sur le devant de la scène pour imposer une vision du masculin apaisée. Décryptage de cette Génération Zen qui pourrait bien démoder la Génération Z…
Après plusieurs années placées sous le signe des générations Y et Z, et de nouvelles icones de séduction, de Timothée Chalamet à Justin Bieber, l’humeur est en train de changer. Les hommes issus de la génération X, celle qui a dû essuyer l’après-coup des années Boomers et le virage anxiogène des 80s, reviennent sur le devant de la scène pour imposer une vision du masculin apaisée, débarrassée des artifices et, paradoxalement, hypermoderne. Décryptage de cette Génération Zen qui pourrait bien démoder la Génération Z…
« Ce sont les Pacificateurs dont l’époque a besoin »
Alors que le monde est secoué par la crise du Covid, que les rapports entre les sexes ont été (et il était temps) questionnés par l’onde de choc #MeToo, que le fossé se creuse entre Millennials et Boomers, le moins que l’on puisse dire est que nous rêvons tous d’un peu d’apaisement. Une réconciliation entre les genres, les âges, qu’incarnent à merveille une génération d’hommes bien dans leur peau, leur identité, qui viennent adoucir l’image traditionnelle de la virilité en la teintant d’une dimension doudou. Comme le souligne Vincent Grégoire : « Pas besoin de faire leurs preuves en vociférant, ces silver surfers savent voguer sur les vagues de l’existence, projetant le calme de ceux, entre deux âges, qui offrent une alternative mesurée aux extrêmes.»

C’est Barack Obama, qui, sans faille, nous rassure avec ses éternels costumes navy, ses prises de paroles mesurées, sa « fan attitude » envers sa femme Michelle. C’est Keanu Reeves, dont on ressort, les dossiers… 100% élogieux : ses collaborations récurrentes avec des réalisatrices, sa vidéo virale où on le voit céder sa place dans le métro new-yorkais, le couple arty qu’il forme avec la plasticienne aux cheveux argents Alexandra Grant. Un souffle d’air frais qui vaut au vétéran d’Hollywood d’être devenu égérie Saint Laurent. Et qui esquisse le portrait du gentleman dont rêve la décennie 2020 : professionnel, respectueux d’autrui, allié des femmes.

Ils incarnent ce slow time auquel nous aspirons
En pleine ère de la célébrité instantanée, il y a quelque chose de doucement subversif, quasiment jouissif, à faire l’apologie d’une carrière qui se bâtit au long cours (et sans chaine YouTube). Avec ses aléas, ses très hauts et ses très bas… D’où l’attrait de ces hommes que l’on a vu se patiner au fil des années, dont on a aimé voir se peaufiner la philosophie de vie au gré des expériences… Revenu de ses années tabloïds, Brad Pitt est l’une de ces personnalités dont la maturité fascine – toutes générations confondues. Derrière les tatouages, celui qui s’est réinventé père dévoué semble envoyer un pied de nez au rythme effréné de l’éphémère.

« Men next door plutôt que flambeurs, ces hommes réhabilitent l’idée d’un temps long, d’une vie qui se bâtit au fil d’épisodes plus ou moins cabossés, de choix audacieux ou mal avisés. Ils ne sont pas dans la disruption, mais dans une cohérence qui calme », analyse Vincent Grégoire. A cœur ouvert, Pitt témoigne ainsi de ses batailles contre l’alcool dans les pages du quotidien « The New York Times », tandis que Steve Buscemi retrace son parcours heurté à l’occasion d’un portrait dans le « GQ » américain, et qu’Antonio Banderas nous bouleverse en quinquagénaire faisant le point sur son passé dissipé dans « Gloire et Douleur », le film signé Pedro Almodovar pour lequel il a obtenu le prix d’interprétation masculine à Cannes en 2019.
Lisses ? Surtout pas ! Les icones Gen Zen affichent rides (Daniel Craig), cheveux gris (Idris Elba) ou boule à zéro assumée (Dwayne Johnson, Zinédine Zidane), tatouages collectés au fil des années comme autant de preuves que l’expérience vaudra toujours plus qu’une story Instagram. Ô combien rassurant pour tous ceux qui, durant le confinement, ont soudain fait le point sur leur vie, se découvrant l’envie de ralentir la cadence, d’assumer vraiment qui ils sont, cheveux blancs compris, sans artifices.
C’était la star inattendue de la crise du Covid-19. Toujours vêtu de costumes modestes et arborant une montre bon marché, le Docteur Anthony Fauci a été la voix de la raison qui venait apporter calme et distance lors des communiqués du gouvernement américain concernant la pandémie. Surprenant ? Pas vraiment. Ainsi que le rappelle Vincent Grégoire : « A l’heure de la « cancel culture » et des réactions à chaud attisées par l’immédiateté des news en continu et des réseaux sociaux, ceux qui s’expriment avec calme et distance semblent offrir une véritable oasis de bon sens». Propulsé du jour au lendemain icône malgré lui, Anthony Fauci, Boomer de naissance mais zen dans les actes, venait illustrer ce dont on manque cruellement en ce moment : des personnalités incarnant la stabilité, assumant et « faisant le job » sans effets de manches.
S’extraire de la course au buzz
Les hommes de la Gen Zen aspirent à se réaliser, sans avoir à surjouer le pouvoir – à l’image du réalisateur sud-coréen Bong Joon-Ho. Oscarisé cette année pour son film « Parasite », l’artiste a surpris tout le monde par la fraicheur de sa réaction, la modestie de ses propos, semblant savourer avec un recul délicieux cette consécration venue après deux décennies d’une filmographie impeccable, en qualifiant les Oscars de « cérémonie locale ».
Revenus des faux-semblants, certainement plus dupes des miroirs aux alouettes, les « quinquados » de la Gen Zen viennent nous rappeler que bien vieillir, c’est refuser le « toujours plus ». « Ce sont des Solutionnistes dans l’âme, conclut Vincent Grégoire. A l’heure où la pandémie nous a fait basculer dans un Nouveau Normal qui remet les pendules à l’heure, on a plus que jamais besoin de ces bâtisseurs qui peuvent s’appuyer sur leurs expériences passées».
Crédit image de couverture : Leonardo DiCapio et Brad Pitt (© Thomas Chéné / Les Inrocks)