
IA + Création, la nouvelle équation
DécryptagesJusque-là attentive à l’architecture de l’organisation fonctionnelle, l’IA interpelle désormais les mondes créatifs de l’art, de la musique, du design… et s’invite plus que jamais dans les scènes communicatives.
Evoquée début 2017 façon bouleversement du processus créatif en cours, L’IA est entre temps devenue une réalité dans les médias et le marketing opérationnel : l’analyse sémantique pour le traitement des insights, le traitement des données pour l’optimisation média, le « scoring pédictif » des outils de CRM… Avec un lien resserré autour de la problématique data.
Côté création, le nouveau champ est le « design génératif », et si nous ne savons pas encore reproduire une créativité aléatoire sans intervention humaine, les concepts applicatifs qui font de l’IA une force au service de la création proposent des horizons inexplorés. Et ouvrent la porte à de nouvelles spécificités marché.
Révolutions applicatives
Dans l’industrie musicale, début 2018, le magazine WIRED a salué « le premier album de musique convaincant issu de l’IA » : l’album Hello World de l’artiste français SKYGGE. Et la perspective IA dans le monde sonore a pris de l’ampleur au même moment avec des services plus aboutis.
La start-up Museek (qui a levé 1,2 millions d’euros en novembre 2018) à destination des créatifs audiovisuels, fait office de petite révolution sur le secteur avec une solution qui génère des morceaux de musique adaptés à un contenu visuel (clip, vidéo) et d’autres majors alimentent ces avancées comme le laboratoire de Facebook qui s’est fait remarquer en publiant un travail où l’algorithme prend des musiques jouées par l’humain en input et en sort une déclinaison.
Dans la même veine, c’est le récent partenariat entre la major Warner Music et Endel qui fait renversement dans les perspectives de consommation auditives : dépasser la création musicale pour développer une gamme de sons qui augmenteraient les possibilités – relaxantes et concentratives – du corps.
Cette « science du cocktail » est reprise dans les autres industries comme la photographie avec des chefs de file comme GauGAN – sur le point d’être commercialisé par Nvidia – ou Meero, avec l’ambition de transformer un croquis en un contenu photoréaliste. Un contexte où il suffit à l’utilisateur d’esquisser les contours d’un paysage pour que l’algorithme ajoute couleurs, textures et détails.

Côté artistes – consommateurs de ces potentialités -, se sont greffés à cette vague des acteurs aussi insolites à l’instar du grec Dimitris Ladopoulos ou des agences media comme le collectif Ouchhh, à Istanbul, qui commence à avoir un certain écho auprès d’un public en quête d’éléments plus poétiques sur le sujet.

Nouvelles potentialités communicatives
Parallèlement, le sujet arrive au centre des débats du monde de la communication. A la dernière Adweek à Londres, l’exemple de la rédaction de scenario par Watson (IBM) pour Lexus, a fait date pour l’avenir du secteur : après avoir mouliné 15 ans d’archives de publicités automobiles, l’IA a décidé du scenario le plus efficace, en croisant les données qui généraient le plus d’émotion.

Et la démarche a été similaire dans le film Zone Out, sorti en juin dernier à l’occasion du défi Sci-fi de Londres : des visages flous, des dialogues générés par ordinateur et des changements de scènes délicats générés par l’IA, comme l’intégralité du pipe de production.

Enfin, et en ce qui concerne l’effort plus pragmatique de la relation client, l’essor des sociétés comme Phrasee (propose d’aider les marques à rédiger leurs mails, ou posts promotionnels en fonction de l’ADN de ses clients) montre que l’avenir sera bel et bien à la compréhension des facteurs émotionnels du consommateur.
Quel rôle demain pour le concepteur ?
Un contexte qui, petit à petit, pose la question du rôle imputé aux designers/concepteurs. « Désormais, l’artiste ne crée plus une œuvre, il crée la création » disait l’artiste précurseur Nicolas Schöffer dans les années 50. Aujourd’hui ces avancées lui donnent raison : l’IA permet de programmer des processus autonomes, qui créent l’œuvre à leur tour, dans un processus établi de co-création.
Plus récemment, et malgré la peur du biais que représente la technologie elle-même, le designer berlinois Andreas Läufer dissipait les craintes de ses collègues face à l’IA design dans un entretien publié chezT3n : « pourquoi ne nous réjouissons-nous pas du temps gagné grâce à des programmes tels que le logiciel 3D Dreamcatcher ? ». « Au final, ne prend-on pas plus de plaisir à développer des concepts qui suscitent des émotions, plutôt que de tester 50 polices de caractères ? » Et Tim Cook, le CEO d’Apple, voit les choses de la même manière : « l’IA design permettra aux créatifs de se concentrer sur leurs véritables missions. »
Pour WIRED, comme d’autres médias spécialisés, il n’est donc pas question de parler de baisse de la créativité. Encore moins de remplacement. Au contraire, ces perspectives annoncent la fin du code et laissent concrètement imaginer l’émergence de nouveaux métiers : l’Algorithm Designer, le Creative Intelligence Designer, l’AI Art Director ou l’AI Scientist. A la manière de l’ar(t)chitecte aujourd’hui, qui jongle entre sciences (réel) et création (abstraction).
Le rôle du concepteur sera alors défini plutôt dans la sélection correcte et le « réglage fin » que dans le « bricolage ». En spécifiant les objectifs et les contraintes. Il conservera le rôle d’auteur du processus et pourra plus facilement mettre en œuvre des solutions émotionnelles. Plus adéquates et plus adhérentes avec les codes de l’époque.
Image de couverture © Dimitris Ladopoulos