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The Verge : SXSW 2019
Timothée Richard 15.12.20

L’ère du son

Décryptages

A l’heure de la critique scientifique et sociologique de l’ère visuelle, le son s’avance comme un canal clé de la décennie à venir.

La voix, voie confirmée de personnalisation de la relation client

Comme évoqué dans nos lignes à l’été 2017, la voix continue de bouleverser la façon d’imaginer la relation marque-consommateur autour de l’intuitivité.

Selon l’étude The Smart Audio Report menée en 2018, plus de 43 millions d’entre elles ont été vendues outre-Atlantique chez les plus de 18 ans. L’équivalent de 16% de la population.

Si en France le taux d’équipement est beaucoup plus faible (autour de 1%) comme ailleurs en Europe, les géants de l’automobile les utilisent désormais pour améliorer le service client comme BMW et Volkswagen, et pléthore de secteurs sont aussi passés à l’acte sur le sujet en deux ans, en tête desquels l’hôtellerie – avec des exemples comme l’hôtel Wynn, à Las Vegas, qui a équipé ses chambres d’Amazon Echo – mais aussi les médias – 20minutes, Le Parisien, en France -, pour qui le potentiel d’audience par ces moyens est énorme. Jusqu’au point où certains experts comparent ces enceintes connectées à une révolution comparable à celle des réseaux sociaux en termes de modèle économique.

Aux Etats-Unis, le taux d’adoption a été plus rapide que le téléphone portable et le phénomène est si significatif qu’il a donné des idées aux plus petits acteurs, à l’image d’Elocance et son manifeste « give reading a voice » qui propose de transformer en audio tous les contenus écrits.

L’explosion du slow content et des divertissements auditifs

Du côté de l’oreille, la dynamique est similaire. En 2019, une personne sur trois écoute un podcast par mois au niveau mondial, pointe le groupe Warc spécialisé dans le marketing intelligence. Et alors que la France compte 28% d’utilisateurs mensuels, la proportion est plus impressionnante encore à Hong Kong (55,4%) Taiwan (47%) et en Espagne (40%) avec une perspective marché évaluée à 1,6 Mds d’euros en 2022.

Et les entreprises, notamment Pandora et Spotify, ont compris aussi qu’une vague nouvelle était en train de s’approprier l’oreille dans la mesure où s’affranchir du visuel correspond à une logique nouvelle autour du slow content. Une libération à la fois imaginative, attentionnelle et créative pour le consommateur.

Si Apple Podcast est leader sur le secteur, les « radios à la demande » pleuvent désormais du côté des plateformes de streaming : Spotify avec Amy Schumer (3 Girls, 1 Keith) lancé fin juin 2018, mais aussi Pandora et Google Podcast. Un phénomène qui, s’il est copieusement américain avec des acteurs clés comme The Verge ou Audible (filiale d’Amazon qui a publié 77 œuvres audio originales entre 2017 et 2018), s’apprête à s’amplifier en France avec les nouveaux « netflix » Elson et Majelan porté par Mathieu Gallet.

3 Girls, 1 Keith © Spotify

Le phénomène se diffuse et se professionnalise aussi autour des personnalités fortes qui font de leurs propres podcasts un moyen d’influence à leur sauce, comme Esther Perel avec « where should we begin ? » autour du travail, ou dans le cadre de sujets plus niches encore comme le féminisme, le commentaire d’œuvre d’art ou l’avenir de l’IA qui profitent de cet engouement pour proposer moins d’infotainment et un positionnement plus long (30-45 minutes), qui permet d’offrir une sphère plus profonde, personnelle et suggestive.

© Esther Perel : « Where Should we begin »

Parallèlement, les communautés comme Gone Wild Audio – « nouvelle forme de porno sonore » selon

Arte Radio – s’inscrivent dans un nouveau cadre qui se détache de l’image, de la même manière que les communautés ASMR s’étendent sur Youtube par leur positionnement sonore (chuchotements, soufflements et autres fantasmes auditifs) à l’image de Gentle Whispering ASMR (1,7 millions d’abonnés) ou Tony Bomboni ASMR (280 000 abonnés).

Une tendance qui a inspiré les prises de parole sur ce format d’IKEA, Dove, Marks and Spencer et plus récemment Tesla. Résultat : là où l’adage général dit « une image vaut mille mots », le choix du son et donc du wording pour communiquer est en passe de devenir un remède au désintérêt ambiant.

L’occasion pour les marques de se recentrer

« Un dirigeant de la Silicon Valley m’a dit un jour que si vous pouviez posséder l’oreille, vous pouvez posséder l’esprit » raconte le correspondant tech de WIRED UK Rowland Manthorpe pour expliquer à quel point le sujet devient stratégique pour les enseignes. Dans un contexte où certains acteurs comme Lush reviennent au « own content » et où le graal est un marketing qui ne ressemble pas à du marketing, il est dans l’oreille une opportunité pour les marques de faire preuve « d’attitude » – sociale, culturelle et émotionnelle -, plutôt que de parler d’elles-mêmes.

Embrayé par Starbucks, Bacardi, et plus récemment Reebok, le propos sur les brands playlists continu de séduire et permet de se connecter authentiquement à la culture dans laquelle la marque évolue.

© Reebok playlists : Spotify

Un enjeu de contenu qui se retrouve dans le brand podcast, plus initiatique, et qui permet aux marques de parrainer des partis pris qui leur ressemblent, mais aussi de renouveler leur promesse de raconter quelque chose. Ainsi, après « The Message », General Electric lance « Life After » sur la dystopie numérique, et plus récemment Sephora crée #LIPSTORIES partie prenante de la communication autour de sa ligne du même non avec l’idée de raconter des histoires multiples de la vie quotidienne.

#LIPSTORIES : Sephora Collection

Parallèlement, l’injonction autour de « l’identité vocale » progresse comme l’a prouvé le débat sur le genre de la voix. Et les marques qui se détacheront désormais seront probablement celles qui se doterons d’une voix, au sens d’une parole qui, parallèlement au logo et à l’univers visuel de la marque, saura donner une idée de ses attributs, son caractère et des codes culturels dans laquelle elle s’insère.

© Couverture : The Verge / SXSW 2019

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