
Single, Not Sorry
DécryptagesConsidérée comme le plus grand changement démographique depuis le Baby-Boom, l’évolution des statuts matrimoniaux n’est pas une tendance mais une modification pérenne des sociétés contemporaines.
Plus de 50% de jeunes américains se déclarent célibataires en 2018, une augmentation importante par rapport à 2004 où ces chiffres atteignaient tout juste 33%. Dans ce pays 45% des adultes ne sont pas mariés. Au Royaume-Uni, 1/3 des foyers sont composés d’une personne. En France, ce sont 18 millions de personnes qui sont célibataires.
En Chine, alors que les femmes célibataires de plus de 30 ans sont culturellement moins acceptées, émerge une nouvelle génération de jeunes femmes plus intéressées par leur travail et leurs ambitions professionnelles que par leur statut marital, si bien que le taux de mariage a baissé de 30% au cours de ces 5 dernières années.
Considérée par le sociologue américain Eric Klinenberg, dans son livre Going Solo, comme le plus grand changement démographique depuis le Baby-Boom, l’évolution des statuts matrimoniaux n’est pas selon lui une tendance mais une modification pérenne des sociétés contemporaines.

Un phénomène encore plus prégnant chez les femmes qui, par ailleurs, tendent à plus assumer et revendiquer ce statut. Cependant ces consommatrices sont un segment de population souvent adressé de manière maladroite par les marques, puisque souvent empreint de sexisme ou de condescendance.
Ce fossé entre leurs réalités et leurs représentations est rendu évident par le sondage mené par Hill Holiday/Origin, dans lequel 48% des femmes célibataires américaines estiment qu’elles sont absentes dans la publicité et 44% pensent qu’elles n’y sont pas bien représentées.
Un changement culturel
Ce statut de célibataire et la façon de l’appréhender est en train de prendre un nouveau visage et tend à être de moins en moins stigmatisé, et ce, grâce à de nouvelles voix, médias et à une génération beaucoup plus décomplexée qui n’envisage pas ou plus le couple comme le statut social ultime.
Ce changement de paradigme est fortement lié aux mouvements féministes et à l’empowerement à la sauce pop culture qui s’est emparé du monde ces dernières années. La meilleure illustration reste la série américaine Parks & Recreation qui a inventé deux concepts largement repris par les réseaux sociaux : le Galentine’s Day, pied de nez la Saint Valentin, célébrant l’amitié féminine le 13 février, et le gimmick TreatYoSelf encourageant à prendre du temps pour soi et à se faire plaisir.

En France, c’est la journaliste Nadia Daam qui entend révolutionner le célibat et mettre à mal les stéréotypes qui pèsent sur ces individus.
En Angleterre, la sensation littéraire du moment chez les millennials est What A Time To Be Alone, une compilation d’essais de self love et de développement personnel, de l’Instagrammeuse body positive Childera Eggerue.
Aux États-Unis, c’est la journaliste Rebecca Traister, qui enquête sur le phénomène dans son article All The Single Ladies : Unmarried Women and the Rise of an Independant Nation.

S’il existe des disparités, ces évolutions sociétales se retrouvent peu ou prou à l’échelle mondiale. Les mutations qu’engendrent ces nouvelles affirmations, même si elles ne sont pas immédiates, doivent être prises en compte par les marques dans une stratégie long terme. Cela sous-entend non seulement de ré-évaluer leur compréhension et leur approche de ces consommateurs sous l’angle communication, mais aussi de s’adapter en termes d’offre.
Des marques précurseuses investissent le terrain
Un changement de paradigme et d’état d’esprit que certaines marques ont compris et tentent d’encourager. Plutôt surprenant de la part d’une application de dating : Tinder vantait dans sa dernière campagne de communication, Single Is A Terrible Thing To Waste, tous les aspects positifs de la vie célibataire. Le fruit de leurs recherches consommateurs et d’une compréhension de la génération à laquelle elle s’adresse, la marque réussit le pari d’une prise de parole décalée, précurseuse et qui s’adresse pertinemment à sa cible.

Tinder, a poursuivi sa stratégie communication jusqu’à l’offre en collaborant avec une marque de bougies, Homesick, pour estampiller leurs produits d’un Single Not Sorry à destination de ses consommatrices qui s’assument de plus en plus et sont à la recherche d’emblèmes revendicateurs et cools.

The RealReal, le pureplayer luxe de seconde main, a surfé sur la même vague lors de la dernière Saint Valentin. En prônant le plaisir personnel, le site adoptait une communication inclusive en accueillant sur sa Homepage une sélection spéciale de cadeaux à s’offrir à soi-même sous la tagline « No Partner? No Problem — Shop Valentine’s Gifts to Give Yourself ».

Dans une campagne sensible, la marque de cosmétique japonaise SK-II s’attaque aux pressions sociétales qui pèsent sur les femmes chinoises non mariées. Ce documentaire court intitulé Meet Me Halfway met en relief le malaise que ces femmes rencontrent à l’idée de passer le nouvel an chinois en famille quand elles savent que leur statut marital sera la conversation principale.
Le documentaire met en scène trois jeunes femmes qui s’adressent à leurs parents et leurs demandent de les rencontrer à mi-chemin afin de faire évoluer leurs visions sur le mariage comme symbole de réussite. Ce mini film est le troisième de la campagne #changedestiny mise en œuvre par la marque. Avec plus de 18 millions de vues en 24h, cette campagne a suscité un vif émoi sur les réseaux sociaux et ouvert la porte à de nouvelles représentations possibles pour ces femmes.
Au-delà de cette approche positive et valorisante du célibat, cet engouement et cette revendication du statut sont aussi liés aux nouvelles priorités de la génération millennials. En effet, très animée par leur vie professionnelle, qui devient de plus en plus perméable avec leur vie personnelle, et très ambitieuse, cette génération est aussi celle qui priorise son bien-être et son temps personnel.
En quête d’individualité, ses membres sont plus demandeurs de temps pour eux, d’activités favorisant leur bien-être ou leur créativité. Ils sont donc plus enclins à faire le sacrifice d’une vie amoureuse afin d’être dans une quête de soi parfois extrême.
Ainsi, dans le sondage mené par Tinder, 81% d’entre eux estiment que le fait d’être célibataire leur offre des avantages que les personnes en couple n’ont pas, notamment la possibilité de rencontrer de nouvelles personnes, d’entretenir des relations non amoureuses plus profondes, d’être plus concentrés au travail et d’avoir plus de temps que les autres dans l’entretien de leur bien-être physique et mental.
Le succès du Single’s day, la preuve par l’exemple
S’il subsiste des doutes quant à l’ampleur de ce phénomène démographique et culturel, l’opération Single’s Day menée en Chine est la preuve par l’exemple qu’un changement profond est en train de s’ancrer dans nos sociétés. Jour de célébration des personnes célibataires en Chine qui se tient le 11 novembre, le Single Day’s est devenu une opération commerciale notamment grâce à Alibaba. Dépassant de loin le Black Friday américain, cette journée de promotion a rapporté 30,8 milliards de dollars au pureplayer chinois, soulignant ainsi l’attractivité d’une population grandissante au pouvoir d’achat exponentiel.

Les marques doivent donc s’efforcer de permettre à ces consommatrices de se sentir incluses, comprises et ainsi faire évoluer leurs propositions d’offre et de communication.
Image à la Une : Single not sorry © Tinder