
Comment la musique influence notre bien-être et nos émotions
Les sons influencent nos émotions au quotidien, sans même que nous en ayons conscience. Anjali Morard, Coordinatrice de la Recherche en Psychoacoustique chez Ircam Amplify, nous explique comment les sons façonnent nos perceptions, impactent notre humeur et comment ils deviennent un outil clé pour enrichir l’expérience client et améliorer notre bien-être mental.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Anjali Morard et je suis Coordinatrice de la Recherche en Psychoacoustique chez Ircam Amplify. J’ai obtenu une licence en Biologie Humaine et un master en Psychologie à l’Université de Stanford, puis j’ai réalisé mon doctorat en Psychologie et Neurosciences Comportementales à l’Université McGill. Mes recherches doctorales portaient sur la manière dont l’émotion dans la musique est perçue par les adultes, les enfants et les enfants autistes.
Depuis, j’ai occupé plusieurs postes de recherche pour explorer la façon dont nous percevons une grande variété de sons, allant des variations subtiles de fréquence et des silences très brefs aux caractéristiques auditives plus complexes, comme le rythme et l’émotion dans la parole. J’ai publié plus de 25 articles scientifiques sur la perception de la musique, de la parole et d’autres sons. En 2023, j’ai rejoint l’équipe d’Ircam Amplify.
Que fait Ircam Amplify ? Pour qui ? Et pourquoi est-ce important aujourd'hui ?
Ircam Amplify crée des expériences sonores uniques et immersives, en combinant la recherche de pointe en psychoacoustique, le design sonore assisté par l’IA, la créativité artistique, l’expertise en design et une méthodologie scientifique rigoureuse.
Qu’il s’agisse de paysages sonores spatialisés dans les espaces commerciaux, d’assistants vocaux sur mesure ou d’identités sonores distinctives, Ircam Amplify aide les marques — notamment dans les secteurs du luxe, de l’automobile, du divertissement, des musées et de la gastronomie — à concevoir des expériences sensorielles qui résonnent profondément avec leur public.
Le son joue un rôle puissant, souvent inconscient, dans la manière dont nous percevons notre environnement et nos émotions, mais il est longtemps resté négligé dans le design de produit et le marketing. Ircam Amplify change cela en plaçant le son au cœur du parcours client, avec une approche scientifique mais intuitive qui permet aux marques de se démarquer émotionnellement et durablement sur des marchés saturés — rendant leurs univers non seulement visibles, mais aussi audibles.
Vous êtes spécialisée en psychoacoustique : pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste ? Quelle méthodologie appliquez-vous pour mesurer la perception du son par l'humain ?
La psychoacoustique étudie comment les aspects objectifs et mesurables d’un son (l’« acoustique ») sont interprétés par notre esprit (le côté « psycho »). Pour explorer cela, nous utilisons différentes méthodes selon l’objectif de la recherche.
Dans les projets, nous cherchons à savoir quels sons sont perçus comme agréables ou désagréables, et quelles émotions ils suscitent. Le moyen le plus direct pour mesurer cela est tout simplement de demander aux auditeur·ices ce qu’iels ressentent lorsqu’iels entendent ces sons.
Nous utilisons également des mesures physiologiques pour obtenir une vision plus profonde de la perception sonore. Par exemple, nous mesurons la fréquence cardiaque — à la fois la vitesse des battements et leur variabilité — pour comprendre si un son est perçu comme excitant ou apaisant. Une autre méthode consiste à mesurer la conductance de la peau à l’aide de petits électrodes placés sur les doigts. Lorsque l’on est stressé·e ou qu’on ressent de fortes émotions, les doigts transpirent légèrement, ce qui améliore la conductivité électrique de la peau. (À noter : nous ne faisons que mesurer, sans appliquer de courant !) Cela nous permet d’évaluer l’intensité de la réponse émotionnelle sans que la personne ait besoin de s’exprimer verbalement.
Comment les sons influencent-ils nos émotions ? Pouvez-vous donner des exemples ?
Le son est omniprésent — nous y sommes exposé·es toute la journée, souvent sans même en être conscient·es.
De nombreuses études montrent que les sons affectent notre état émotionnel et notre humeur, même lorsque nous n’y prêtons pas attention.
Cela inclut les bruits de fond comme le trafic ou les systèmes de ventilation, les bruits émis par les personnes autour de nous, ainsi que les alertes de nos appareils électroniques. Nous avons mené des études montrant que même de courtes notifications sonores — comme celles des smartphones ou des machines à laver — peuvent avoir des effets émotionnels puissants, malgré leur brièveté (souvent moins de deux secondes). Par exemple, nous avons constaté qu’un bip répétitif et monotone est généralement perçu comme désagréable, alors qu’une petite mélodie qui monte en hauteur et en volume est jugée plus plaisante.
Bien que les préférences varient d’une personne à l’autre, certaines réactions sont presque universelles. Par exemple, les sons rugueux — qui évoquent des textures râpeuses — sont en général désagréables. Les sons très aigus peuvent également être agressifs, tandis que des sons naturels comme le vent, l’eau qui coule ou le chant des oiseaux sont souvent apaisants et agréables.
Nos designers sonores s’appuient sur ces principes universels, tout en ajoutant leur expertise artistique et leur intuition, pour créer des sons qui correspondent aux besoins spécifiques de chaque client·e. Côté recherche, nous évaluons aussi des sons existants, en les testant auprès de consommateur·ices, en analysant les données et en proposant des recommandations d’amélioration.
Quelles sont les applications intéressantes pour le marketing et le retail ? Que pourraient / devraient faire les marques à l’avenir pour en tirer parti ?
Dans une étude récente menée avec Fitness Park, nous avons constaté que l’ajout d’une musique sur mesure sur leur site web a permis une augmentation de 7 % du taux de conversion, une baisse de 33 % du taux de rebond et jusqu’à 45 % d’augmentation du temps passé sur les pages.
Et cet effet ne se limite pas aux espaces digitaux : les environnements physiques en bénéficient aussi. La recherche montre que la musique bien conçue — et nous insistons sur le fait qu’elle doit être à la fois de qualité et adaptée au contexte — peut considérablement améliorer l’expérience client dans des lieux comme les hôtels, les bars, les restaurants et les magasins. Dans les restaurants, par exemple, une bonne musique peut même amener les client·es à trouver que les plats ont meilleur goût.
Le son joue aussi un rôle critique dans la conception des produits. Nous travaillons souvent à améliorer les sons existants pour les rendre plus agréables ou plus évocateurs émotionnellement — cela peut être le bruit d’un moteur, ou d’un mécanisme.
Par exemple, le bruit d’une portière de voiture est soigneusement conçu pour suggérer qualité et durabilité, voire transmettre un sentiment de luxe en accord avec l’image de marque. Même les sons d’emballage — comme le « pop » d’une canette qui s’ouvre — ont fait l’objet d’études scientifiques pour optimiser l’expérience sensorielle.
De même, comme évoqué avec les sons d’interface, des sons bien conçus rendent les interactions digitales plus intuitives et agréables.
Parce que le son a un impact émotionnel et cognitif si puissant, il est essentiel pour les marques — tous secteurs confondus — d’intégrer le son dans l’ensemble du parcours utilisateur, du marketing à l’engagement client, jusqu’à l’utilisation du produit et la perception à long terme de la marque.