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Timothée Richard 14.12.20

Renouveau japonais

Décryptages

Plus que jamais challengé par son contexte sociétal, l’esprit de la création japonaise se réinvente et tranche singulièrement avec l’identité technoïde à laquelle l’Occident l’associe aujourd’hui.

En 2019, le Japon vit une crise culturelle, sociale et politique sans précédent. D’abord parce qu’en 2010, il a cédé sa place de deuxième économie mondiale à la Chine, qui suit de près les États-Unis. Ensuite, parce que sa population vieillit à une vitesse record du fait de la baisse des naissances, au point qu’un Japonais sur cinq (20%)sera âgé de plus de 75 ans en 2035 et que, l’immigration étant quasi interdite, aucun renouvellement n’est possible. 

Enfin, parce que la culture nippone s’exporte moins. Sony a perdu d’énormes parts de marché sur l’entertainment au profit du Sud-Coréen Samsung ; et l’art contemporain japonais, pourtant de qualité, intéresse peu le marché international (exception faite du plasticien Takashi Murakami et de photographes comme Hiroshi Sugimoto et Nobuyoshi Araki, présents dans les musées du monde entier). Pourtant, et dans la mouvance des démarches partenariales et culturelles avec l’Europe sur le japonisme (40 Mds d’euros), le nombre de visiteurs a presque triplé en 5 ans au Japon passant de 10 millions (2013), à 28 millions (2018) selon les données officielles du gouvernement. 

Les grands évènements à venir – Coupe du Monde de Rugby 2019, Jeux Olympiques 2020 (Tokyo), Exposition Internationale 2025 (Osaka) – accentuent le phénomène mais d’autres concepts (primitivisme, sobriété, hybridation, abstraction) – explorés en France à l’occasion de la saison « japonismes 2018 » – révèlent d’un magnétisme renouvelé autour de la création japonaise.

#Ar(t)chitecture : Exigence sobre du vide et de la discrétion

Au centre du phénomène : les créations anciennes et contemporaines « made in Japan » qui fascinent plus que jamais. Les candidatures à la Villa Kujoyama (sorte de Villa Médicis proche de Kyoto), qui offre aux plasticiens la possibilité de travailler avec des artisans japonais, sont exponentielles. Et l’exigence du sobre et de la discrétion est un parti-pris qui révèle une régularité dynamique – du côté des architectes et designers – pour quiconque est en quête de réponse à la saturation des espaces en occident. Celle-là même défendue par le prix Pritzker 2019 japonais Arata Isozaki en soulignant lors de sa prise de parole : « ma première expérience architecturale est le vide ». Faisant référence de manière plus large à la culture du non-décor, de la simplicité et du réputationnel – plutôt que le visible – par la couleur brute et les formes organiques. Mais aussi de la connexion à la nature, plus tôt imprégnée par Tadao Ando au moyen du béton banché, du recours à l’acier et de l’éclairage naturel dans ses réalisations.

Dans une perspective plus décorative et dans la lignée de la philosophie primitive du mouvement Mono-ha (l’école des choses) des années 60, d’autres incarnations comme le designer Naoto Fukasawa, récemment évoqué, ou l’artiste Kohei Nawa, à l’origine du collectif de création « SANDWICH », s’attachent à éliminer le superflu dans les scènes du quotidien pour tendre vers un dépouillement propre à l’esprit japonais. 

#Mode : Hybridation, abstraction et alchimisme

Autre secteur en prisme à ce souffle renouvelé, la mode. L’esthétique radicale des années 80 portée par les trois iconiques Rei Kawakubo (Comme des garçons), Issey Miyake et Yojki Yamamoto n’est plus dominante mais une nouvelle génération s’annonce peut-être avec Masayuki Ino, fondateur du label Doublet, qui a reçu en juin 2018 le prix LVMH du meilleur jeune créateur de mode pour son sportswear playful et ludique. 

Avec lui d’autres acteurs émergent ; le label Girls Don’t Cry est cité parmi les 10 labels à suivre selon Hype Beast ; Undercover fait parler de lui pour ses lignes droites, son rapport au volume, et les marques TogaKolor et Sacai sont représentatives d’une nouvelle life line « cool japan » par leur capacité à mélanger et mixer les grands archétypes contemporains. Une alchimie nouvelle.

Dans un registre questionnant le digital et la notion de visibilité, on retient aussi l’évolution des créations fashion-tech d’Anrealage. Après un travail sur la coexistence du noir – lumière invisible – et de la transparence – couleur invisible – le créateur Kunihiko Morinaga sort « Détail » pour aborder de manière plus légère le décalage entre les images qui nous inondent, toutes similaires, et la réalité.
Une démarche qui résumé parfaitement le particularisme actuel du pays : des allers-retours incessants entre passé et modernité, épure et sophistiqué, pratique ancestrale et obsession de la technologie.

Crédit de couverture © Doublet

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