Le luxe au prisme de l’intelligence d’expérience
DécryptagesRemettant en question les signes de la réussite sociale, la nouvelle génération privilégie, à la course en avant sur le confort, un art de vivre axé sur la liberté et la quête d’expériences.
Partie prenante de la réflexion autour de la post-modernité, portée en Europe par le sociologue Michel Maffesoli, le renversement des valeurs associées au luxe et au statutaire se poursuit. Pour les jeunes adultes occidentaux, l’art de (bien) vivre ne se résume plus à la possession matérielle : c’est le pouvoir de sortir de l’échelle du conformisme, de se déconnecter du digital, et de se lancer dans une vie guidée par les expériences et la quête de sens qui incarne la version moderne de la notion de privilège.
Se détacher des codes traditionnels de la possession
Dans notre publication Life & Style 2021, nous avons mis l’accent sur la radicalité d’une certaine frange de la population, les « clasheurs », vis-à-vis des codes institués. Soulignant à la fois le besoin d’envisager le monde de manière plus horizontale et de se réapproprier les chemins de représentation du temps vs ceux de la matérialité.
En chef de file des insights venant conforter cette idée : 90% des personnes interrogées par YouGov l’année dernière, aux Etats-Unis, disent associer l’idée du rêve américain à la perspective de liberté, devant la stabilité matérielle. Une première dans l’histoire des sondages menés par l’agence britannique à l’échelle du pays qui insiste sur le désir de flexibilité qui sous-tend à minima la notion d’argent dans son style de vie.
La conscience écologique est passée par là et le même rapport, publié dans une deuxième version début 2019, souligne que et plus de la moitié de la nouvelle génération (57%) indique ne pas être attiré par le changement de statut social mais s’imagine davantage à même de construire une société drivée par les marqueurs de l’horizontalité.
L’expérientiel, le nouveau statutaire
Dans la même perspective, le prospectiviste James Wallman, auteur du phénomène « Time and How to Spend it » en librairie cet été, parle d’un changement de paradigme fondamental dans la façon de mesurer le bonheur et le statut social : « Acheter des choses nécessite de l’argent, mais faire des choses prend du temps ».Mettant en avant le privilège de l’accès, à l’ère de l’expérience, plutôt que de la possession et l’aspect monétaire, et insistant sur la façon dont les marques doivent mieux composer avec ce paysage.
Si le luxe est encore une dépense pure, cérémoniale, qui s’épuise en elle-même, et témoigne de la centralité de l’éphémère, il ne passe donc plus par les mêmes symboles. Les sociologues tels que Michael Dandrieux parlent d’un passage de la logique du « trésor » à celle du « transit » (en appuyant sur le « nomadisme » à l’œuvre dans notre société) et les chiffres en parlent de manière plus pragmatique : 77% des personnes les plus aisées font des achats moins importants mais plus significatifs (Yougov Affluent Perspective).
Un moyen révélateur de la remise en question à la fois de l’achat « classique », que de la rhétorique de l’accélération.
Le nouveau luxe, dixit cette nouvelle génération, est moins obsédée par « l’avoir » que « l’être » incarné par les « pôles d’expérience » différenciantes. Que ce soit dans le cadre du travail – où 53% des personnes travailles à distance pendant au moins la moitié de la semaine (International Workplace Group) – ou du temps libre, incarné notamment par les perspectives de voyages, nombreux sont ceux qui souhaitent fuir les chemins du conformisme pour aller vers cette nouvelle dose de personnalisation de leur mode de vie.
Une donnée qui se reflète d’ailleurs dans les enquêtes menées chez IPSOS où 65% des américains fortunés préfèrent désormais des destinations hors des sentiers battus. Et 88% d’entre eux disent qu’une expérience de voyage (plutôt qu’un objet) permet mieux de les définir.
De l’intelligence émotionnelle (QE) à l’intelligence d’expérience (QX)
Dans ce contexte, les marques de luxe qui rencontrent un fort succès aujourd’hui sont celles qui ont entamé leur mutation en véritable « dealer d’expériences », porteur d’une vision du monde, non plus seulement bienveillante et empathique (QE) mais de spécificités expériencielles (QX) qui dépassent leur simple cœur de métier.
Si les secteurs qui incluent une expérience en eux-mêmes comme l’automobile, la restauration ou encore l’hôtellerie expriment un taux de croissance supérieure, les marques successful savent qu’elles ne sont plus attendues sur un luxe synonyme de pièces siglées mais sur la capacité à créer des histoires, de la contextualisation, et du voyage sensoriel avec leurs clients.
Des chercheurs comme Elizabeth Dunn (Université de la Colombie-Britannique) ou Tom Gilovich (Cornell) disent haut et fort que l’accès au bonheur passe davantage par un investissement dans les moments fugaces de connexion humaine que dans les choses et Joëlle de Montgolfier, responsable du pôle études chez Bain & Co parle d’une redéfinitionhistorique du luxe, plus fugace, où il ne nous en reste que le souvenir.
Au cœur de ce crédo moins consumériste, la filiale du groupe Accord Novotel a lancé sa nouvelle campagne « Time is on Your Side » et plusieurs agences ont changé la proposition initiale du voyage en quelque chose de plus proche de cette timeline : 200’000 hours, Extraordinary Adventure Club ou encore Wix Square… et plus récemment AirBnb, qui vient de lancer « Animal Experiences », des excursions éthiques qui se concentrent sur les animaux.
Cet engouement, on le retrouve en ville sur les espaces sociaux offlines, comme les cafés et restaurants récemment ouverts sur la cité (Saint Laurent, Jacquemus, Maison Kitsuné, Jeanne Damas, Amelie Pichard, …) est aussi à mettre au cœur de la vision de Maya Angelou « Les gens oublieront ce que vous avez dit, ce que vous avez fait, mais n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir. »
Une rhétorique où le client se rapproche de l’art, presque même du spirituel, et où la marque réhausse ses acheteurs en les construisant comme une élite expérientielle.
Image à la Une : © Maciek Martyniuk « Dream Lands »