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Timothée Richard 15.12.20

Après le numérique

Décryptages

Le digital n’est plus une utopie, mais, à l’heure de l’alphabétisation écologique, un outil qui est plus que jamais relativisé dans sa dimension éthique, intellectuelle et collective.

Le directeur général de Google Sundar Pichai a fait une sorte d’aveu fin 2018 qui a résonné dans le New York Times : « La technologie ne résout pas les problèmes de l’humanité. C’était naïf de le penser. »

Alors que Vice UK disait du sujet qu’il n’était plus amusant il y a deux ans dans « Not Going Online Is The New Going Online », pour le Harvard Business Review, le constat est plus pragmatique désormais : « Chaque époque a des choses qui semblent nouvelles et merveilleuses à la fois, mais tièdes et banales pour les générations futures. » Avec l’exemple analogue du plastique, l’ère du numérique n’échappera pas à la règle selon l’écrivain américain Greg Satell.

Si le digital est devenu en 30 ans LA source de fluidité et de mise en relation par excellence, le NY Times évoque quant à lui déjà sa descente dans le « banal ». Tellement ordinaire que le véritable luxe ne s’inscrit plus dans la possession des outils numériques selon lui, mais dans la capacité des consommateurs à s’en extirper… pour privilégier les liens humains.

Un élément d’observation pertinent pour dire que le digital massifié, bien sûr façonnera l’avenir, mais qu’il n’est pas exclu de penser que les consommateurs redéfiniront le rôle et l’impact qu’il aura dans leur vie.

Le grand réveil de la vie privée, et collective

Au cours de la dernière année, un tournant tectonique dans la sensibilisation du public à la protection de la vie privée et à la sécurité dans le monde numérique a eu lieu. Phénomène que certains médias comme WIRED ont appelé « le grand réveil de la vie privée », boosté par l’affaire Cambridge Analytica.

La prise de parole remarquée de Chris Hughes – co-fondateur de Facebook – marque un nouveau tournant critique vis-vis des monopoles sur le web, mais le consommateur prend paradoxalement conscience qu’il n’a absolument aucune idée des ingrédients qui entrent dans le pain quotidien du numérique. Et c’est ceci qui crée le premier sentiment de dissonance actuel.

Les données personnelles – comme la publicité avant elles – semblaient un petit prix à payer, mais le coût social constitue maintenant une menace réelle pour la liberté et les droits de l’homme, souligne l’Internet Health Report 2019.

Et il en va de même de l’idée d’un déclin cognitif générationnel, et d’un réel problème de santé publique quant au temps d’écran recensé chez les plus jeunes. Face à ces éléments, la Gen Z, analysée par le marketing comme la génération dotée d’un « filtre 8 secondes », progresse sur la question du cyber-minimalisme, où la non-connexion s’affiche en solution au délitement du lien social, comme expliquée aux Etats-Unis dans Digital Minimalism, « choosing a focused life in a digital world ».

En cause de manière plus générale : le sentiment que l’Internet, et notamment les réseaux sociaux, ont enfanté une société où l’enjeu n’est plus de transmettre mais de paraître. Créant l’effet inverse de l’idée de base de la révolution numérique : démocratiser l’accès à l’information.

Les consommateurs s’emparent de la sobriété numérique

A cette prise de conscience sur l’intelligence collective, il faut ajouter que le bénéfice du doute sur les impacts écologiques du numérique n’existe plus côté consommateurs : 4% des gaz à effet de serre et 5,6% des émissions de CO2 selon Frédéric Bordage, fondateur de Green IT« Nous pensions que l’internet serait la matrice d’une nouvelle croissance des savoirs plus durables et nous avons eu l’explosion d’un cyber-consumérisme qu’incarne l’obsolescence programmée comme mode de conception des produits » ajoute le pionnier du web français Bruno Walter. Chose que Marc Dugain, écrivain et chroniqueur aux Echos, consolide par ailleurs.

Au-delà des agendas dédiés qui s’amplifient comme celui de la Fondation Internet Nouvelle Génération, les impulsions sobres continuent leur ascension. Après des initiatives produits comme The Light Phone il y a deux ans ; « your phone away from phone », l’approche se retrouve dans les lieux qui s’éloignent de l’hypsterisme ordinaire pour devenir plus huppés comme le caffè populaire pendant la design week de Milan : « anti-digital, parce que nous voulions définitivement que les gens se parlent, se rassemblent et discutent, plutôt que de rester sur leur ordinateur » selon le studio DWA. Créant ainsi un espace réfléchi qui recadre ce que signifie « être connecté ».

La traduction de la face obscure du digital s’invite aussi dans la culture et les plus larges contenus audios visuels. Un début selon les spécialistes comme Karine Mauvilly qui, d’un point de vue institutionnel – et après la loi française sur le droit à la déconnexion en 2016 -, y voit le début de la question de la non-connexion, répondant à la quête de renouveau des liens sociaux.

 « Low-techs » : une nouvelle ère de modération

En 2019, année du « tech for good », ces idées disparates se retrouvent dans le mouvement intellectuel des « low-techs ». En écho avec l’économie bleue, expliquée par Gunter Pauli. L’idée ? Redonner de l’autonomie et de la connaissance au consommateur sur ses usages digitaux. Mais aussi politiser le champ du numérique, en l’orientant vers les besoins les plus primaires, et plus de « friction ». Une notion longuement abordée cette année à SXSW pour redéfinir les contours d’une relation client plus humaine.

Alors que le terme « low-tech » a été popularisé par l’économiste Ernst Schumacher dans Small Is beautiful (1973), cette prise de conscience trouve plus que jamais ses incarnations autour des collectifs de recherche (l’Hermitage, la MYNENomades des mers) et des agences de conseil comme Ghara sur l’habitation écologique.

Pour Clément Chabot, co-fondateur du Low-Tech Lab en France : « l’avenir du secteur, en complément de l’élan sur la « clean-tech » – qui vise à réparer l’environnement -, sera fait de proximité et d’autonomie au cœur de toutes les interactions. La valeur ajoutée est simple : en relocalisant et en réduisant la taille des systèmes techniques, leur gestion est simplifiée. Et plus visible ».

Les marques, de leur côté, doivent être conscientes de l’épuisement croissant de l’Internet et chercher des moyens d’aider les consommateurs à s’immerger davantage dans le monde réel.  Ou, du moins, à réfléchir aux moyens d’éviter que leur technologie ne soit en désaccord avec le défi de sobriété sociale et environnementale.

Couverture © Mozilla Foundation / Internet Health Report

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