La food, nouvelle lubie tech
DécryptagesRituel social par excellence, la food est au cœur des préoccupations écologiques et sanitaires. Elle est aussi le terrain choisi par les acteurs de la tech pour en faire un lieu de créativité et d’éléments de sur-mesure.
En 2018, la FoodTech a changé d’envergure. Ce fut une année record en termes d’investissements (+ 43% par rapport à 2017 selon AgFunder), et le moment d’une croissance importante du nombre de licornes, annonce le Food Digital Lab début 2019.
Pour les entreprises et les investisseurs, alors que le « manger 2.0 » était principalement synonyme de startups de livraison – avec les levées remarquées de Swiggy (Inde), Instacart (USA) et iFood (Brésil) -, il est désormais considéré comme un domaine représentant un potentiel plus global. Qui plus est dans les nouveaux horizons digitaux que sont les marchés de l’Inde et du Brésil.
Pour les industriels agro-alimentaires et les distributeurs, un constat s’impose : la food passe – grâce à ces perspectives tech – d’un levier émotionnel à un levier véritablement créatif et personnalisé.
IA : nouvel aiguillon de créativité
Dans un monde connecté drivé par l’image, c’est d’abord les leviers de l’intelligence artificielle qui font jaser et s’insèrent résolument dans les perspectives de création culinaire.
En 2017, Nick Hynes avait fait parler de lui avec Pic2Recipe, le « shazam de la nourriture », et la plateforme sociale Pinterest avait suivie avec une fonctionnalité IA similaire sur sa plateforme : prédire les recettes à partir des images food postées sur le réseau.
Cette année, dans les brèches d’IA créatives posées ailleurs – dans la publicité, la musique, le design -, trois informaticiens de l’université de Tel Aviv ont mis au point un réseau neuronal (IA) qui fait l’inverse : créer des images d’aliments à partir de recettes écrites. Une première, mondialement relayée, avec l’idée de décupler encore le potentiel de créativité du visuel des recettes.
Alors que jusqu’à présent, l’IA text-to-image produisait des images synthétiques en regardant des phrases descriptives visuelles telles que « cette fleur rose a un beau centre jaune », cette initiative signe un degré nouveau de « performance-appétissante » dans la mouvance du marketing gustatif.
Si demain il est plus que probable que les consommateurs aient simplement à pointer leur téléphone pour connaitre les faits de leur alimentation, les ingénieurs ont bien compris que la refonte visuelle du secteur était en marche, à l’image du CookBook 2019 (réalisé par La Panacée) ou encore des mises en scènes toujours plus soignées d’Ana Roš ou de Richie Lin. Qui témoignent du renouveau des liens entre alimentation et création artistique.
Un contexte qui plaide un peu plus pour la banalisation de l’IA dans le secteur.
Nouvelle vague de nutrition personnalisée
Parallèlement et comme évoqué par Peter Brabeck-Letmathe, ancien chef de Nestlé, dans son livre « Nutrition for a Better Life » la nutrition personnalisée passe aussi à la vitesse supérieure cette année. Pour devenir une solution wellness ultra-saine et participative.
« A moyen terme, par l’usage d’un côté de tests permettant au consommateur de connaitre ses besoins (tests génomiques ou du microbiote) et de l’autre par de nouveaux modes de production, chacun pourra accéder à des produits totalement personnalisés. » analyse pour le marché Matthieu Vincent, co-fondateur du Digital Food Lab.
Coté service et sous le feu des projecteurs aux Etats-Unis, les « Blood & DNA dinners » font déjà commerce avec la prise de pouvoir d’acteurs comme Habit (qui avait levé 32 millions de dollars en 2016), Helix ou plus récemment Dadamo (par le biais de tests sanguins). Avec l’idée poussée par les études qu’il n’y a pas de vérité absolue en alimentation mais seulement un mode nutritif qui correspond au profil de chacun.
Au cœur de cette certitude nouvelle, ils analysent les biomarqueurs génétiques du consommateur, et ultra personnalisent leurs menus en fonction de ses besoins nutritionnels. Une approche plus holistique de l’alimentation qui dépassera le phénomène de « régimes à la mode » selon Neil Grimmer, le fondateur d’Habit.
Dernier exemple en date à plus grande échelle : Nestlé, en 2018. La plus grande entreprise agroalimentaire au monde propose à quelque 100 000 utilisateurs japonais du programme « Nestlé Wellness Ambassador » d’envoyer leurs aliments (via l’application Line) et recommande ensuite des modifications du mode de vie. Le programme coûte 600 dollars par an et comprend des gélules spécialement formulées en fonction de ses carences : collations enrichies en vitamine, thés riches en nutriments, et d’autres produits comme des smoothies spécialement formulés. L’idée ? s’insérer durablement sur cette mouvance technique du sur-mesure.
Coté produits, on observe les éléments « nutraceutiques » – nouvelles denrées alimentaires – prendre aussi une ampleur nouvelle. A l’instar des approches herbalistes et neuropathiques développées en Europe par des marques DNVB comme Wild and the Moon, au service de l’élimination des toxines, ou aux Etats-Unis avec des start-ups de protéines alternatives comme TruBrain, Olly ou encore Dirty Lemon qui consacrent un angle plus fort sur la performance physique.
Alors que les chiffres prêtent à s’intéresser de près à ces marchés (1 adulte sur 5 achète au moins une cure de compléments alimentaires par mois selon l’ANSES), il en est une preuve nouvelle que la vision du secteur change.
Parallèlement au retour aux traditions, aux règles et aux rituels dans lesquels nous nous retrouvons, l’obsession de la santé comme nouveau life style est en passe de redessiner les cartographies gustatives.
Couverture © CookBook 2019 : Esmeralda Kosmatopoulos, à (quatre) tables.