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Eléonore Terzian 14.12.20

Les nouveaux surréalistes

Décryptages

Reprenants les codes du début du XXème siècle visant à libérer la création de toute contrainte et de tout logique, les surréalistes à l’œuvre sont l’incarnation douce, puissante et intangible d’un monde en réenchantement.

Au-delà de la rigidité de la bien-pensance et des impératifs prosaïques du progrès, la fiction comme effet de style traverse les formes – le digital, la mode et les arts médiatiques – et continue d’être partie liée au plaisir.

Réaffirmation radicale de l’identité

Comme dans les années 20, c’est l’esprit de révolte qui caractérise cette quête identitaire et le message, qui veut bousculer le conformisme de la société contemporaine. L’usage des illogismes en ce sens est une arme, pour percuter un public focalisé sur l’image. Quid de la notion de création d’aujourd’hui ?

Pour désormais 58% des français, une majorité nouvelle, l’œuvre d’art n’est plus obligatoirement « belle » selon les beaux-arts. Elle a d’autres vocations, plus fortes, autour du message, politique et de la critique sociétale. Dans ce contexte se dessine une fascination pour l’inconvenance, les illogismes, et ceux qui osent et perturbent l’ordre social établi. C’est ce qu’une partie des artistes, à l’échelle mondiale, tentent d’initier. Une prise de parole rapide et lucide, à l’image de l’artiste critique Tom Galle qui questionne l’impact des grands acteurs (Apple, Facebook, Nike, …) sur nos vies, notre corps et notre manière de réfléchir, en imitant le langage simple mais efficace des mèmes. Exemple incarné de l’artiste conceptuel contemporain qui, moins axé sur l’approbation esthétique, cherche à donner matière à réflexion.

Moins violente et plus en prise sur les associations visuelles, cette vague est reprise par les artistes de l’ère Instagram Sara Shakeel (700 000 abonnés), Ugurgallen (300 000 abonnés), Emir Shiro, ou des profils comme Paul Fuentes au Mexique. Et il est juste de dire que leur démarche est devenue une sorte de sensation de l’art digital.

Se questionnant sur les avancées radicales du monde moderne, au cœur de cette réappropriation de l’illusion, certains photographes trouvent un écho important en collaborant avec des acteurs du luxe. C’est le cas de Charlotte Bonnefous, qui pour Louis RoedererAir France, ou au Japon avec Isseye Miyake transforme nos espaces contemporains en lieux plus personnels, abstraits et métaphoriques. Des lignes épurées reprises pour Emilio Pucci par le britannique Charlie Engman, en jouant avec la physicalité et la platitude des images de mode. Mais aussi Jamie Nelson, qui s’offre des partenariats prestigieux avec DiorShiseidoUrban Decay sur des critères similaires. Marque du sophistiqué, de l’indiscernabilité, de l’onirisme ou encore de l’inconscient, comme autant de portes d’entrées vers l’imaginaire des marques.

Les projets médias prennent le relais sur le sujet en jouant sur le fake ambiant pour imaginer des positionnements différents à l’image de la revue « Des faits », première revue 100% fake news. Un journal de 64 pages illustrées qui balance entre ironie assumée, reportages totalement imagés et expériences de pensées littéraires.

Un levier repris par les créateurs

Le langage de l’analogie et du symbole est repris par les créateurs. Avec une montée sans précédent de l’irréel, dans les mises en scènes et les collections.
En Europe, le défilé Gucci à Milan en février a été une référence sur cette ligne. Le show d’Alexandre Michele a mis à l’œuvre les mannequins défilants avec des cornes, des bébés dragons, ou encore des yeux de cyclope au milieu du front ; « le signe ultime et extrême d’une identité métisse et en constante mutation » selon la maison. Explorant ainsi la notion de monde commun. La juxtaposition et la variété des imaginaires fantasmagoriques.

Ouvrant d’autres degrés de subversion et par là même une nouvelle perception de la modernité, la Fashion Week de New York a, selon Maryam Nassir Zadeh, été l’objet d’une ambiance « acide méditerranéenne ». Faite de juxtapositions, de quelque chose d’organique avec l’irréel, notamment à travers l’identité excentrique de Colline Strada, remarquée pour sa propension à flirter avec le psychédélique, et les impressions teintées insensées.

Mais aussi par les expérimentations sur les formes, les dimensions, l’épaisseur et la focalisation sur le phénomène morphologique. A l’image du maxi-coat présenté à Paris par Balenciaga, ou bien la collection « la collectionneuse » de Jacquemus qui reprend l’idée d’Elsa Shiaparelli de faire apparaitre les poches comme des mini tiroirs. Avec un penchant plus que jamais théâtral.

Dans la réalité des bijoux également, la vague trouve de nouvelles incarnations ; Charlotte Chesnaisen France, et Sonia Boyajian à Los Angeles, se déprennent des suprématies et proposent une vision renouvelée de l’accessoire, graphique et organique.

Une autre vision intéressante qui fait état de l’épaisseur du mouvement : déconstruire pour re-construire, derrière le réel, une véritable pertinence.

© Couverture Rainbow – Sara Shakeel

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