
Lire pour se distinguer : le retour du savoir statutaire
À l’heure où le monde scroll, swipe, et like et zappe, une partie de la population choisit de faire l’inverse. Elle ralentit. Elle lit. Elle accumule non pas des followers, mais des pages. Et ce n’est pas un hasard.
On observe aujourd’hui une nouvelle hiérarchie du luxe. Tandis que celleux que l’on appelle communément les « nouveaux riches » investissent dans des objets bruyants – baskets ultra limitées, yachts étincelants, stories en jet – une autre élite, plus discrète, revendique la culture comme marqueur de sa richesse.
Après notre vidéo sur les riches et la déconnexion, Vincent Grégoire, directeur du pôle Consumer Trends & Insights de NellyRodi, décrypte ce nouveau capital tout aussi immatériel mais infiniment plus statutaire : le savoir.
« Aujourd’hui, ce n’est plus le sac ou la montre qui fait la différence, mais le fait de parler d’un roman, citer un philosophe, ou connaître le nom d’un réalisateur de films indé ».
Ceux qui savent, lisent. Et surtout : ils montrent qu’ils lisent, et face à un monde saturé d’images, le livre devient une posture, une réponse, un filtre social. Là où certains consomment l’instant, l’élite collectionne : éditions rares, essais pointus, fanzines arty, Pléiades annotées.
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On assiste à un retour en grâce de la bibliothèque comme signe distinctif. Ce n’est plus un meuble mais un véritable manifeste, une pièce entière dédiée aux livres, un autel silencieux, une étagère savamment curatée plus parlante qu’un CV.
Dans notre cahier Life & Style 2027, nous évoquons cette tendance du “bookshelf wealth”, ou comment les livres deviennent les nouveaux trophées du bon goût. On les expose comme on exposerait des œuvres. On les aligne avec soin. On les feuillette avec fierté.
Les maisons d’édition comme Assouline ou Taschen transforment les livres en objets d’art, avec même du mobilier sur-mesure pour accueillir leurs formats géants. Des éditeur·ices indépendant·es comme Emmanuelle Oddo relancent des collections à tirage court, pensées comme des manifestes visuels. Et même sur les réseaux, on s’arrache les éditions limitées de livres de mode comme on le ferait pour une collab Nike : cf. la file d’attente devant la boutique Jacquemus pour son dernier coffee table book.
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Ce mouvement dépasse la simple déco. Il touche l’hôtellerie, la mode, le retail : Miu Miu crée un club littéraire, Jonathan Anderson chez Dior rend hommage à la littérature dans son défilé SS26, et à Nagoya, le Tsutaya Bookstore s’impose comme un temple du livre imprimé.
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Même la cuisine devient bibliothèque, même les hôtels se sont mis à remettre des prix littéraires.
Face à la dématérialisation du savoir, à la volatilité de l’information, à la consommation algorithmique de la culture, le livre devient une manière de se reconnecter au tangible, à l’essentiel. Les « vrais » riches — ou du moins, celleux qui aspirent à un luxe plus cérébral — se distinguent non plus par ce qu’ils portent, mais par ce qu’ils lisent et réhabilitent l’intellect comme nouveau privilège.