Politique : La face cachée de TikTok
DécryptagesPrise d’opinions, expression des convictions politiques, formations idéologiques… Lieu d’expression privilégié des Gen Zers, Tiktok passe d’une destination de divertissement à une plateforme d’engagement politique, donnant la parole aux jeunes générations sur des sujets d’actualité brûlants.
Ces dernières années, Tiktok a pris une place monumentale dans la subculture mondiale. L’application compte aujourd’hui plus de 800 millions d’utilisateurs actifs dans le monde (Datareportal 2020) et devient l’application la plus téléchargée avec 2 milliards de téléchargement en 2020.
Plateforme adorée des Gen Zers (41% des utilisateurs de Tiktok ont entre 16 et 24 ans selon Globalwebindex) pour son niveau d’interactivité et sa facilité d’utilisation, elle est rapidement devenue un espace virtuel d’expression. Sa popularité a d’ailleurs explosé en début d’année, exacerbée par le confinement et la crise sanitaire, et aujourd’hui par l’actualité foisonnante qui lui confère une dimension politique.
Nouveau terrain d’activisme politique
Les gouvernements, chefs d’Etats et représentants politiques profitent de l’aura de la plateforme pour faire passer des messages. Début juillet, Macron félicitait sur son compte officiel la « Génération du monde d’après » pour l’obtention de son baccalauréat. Fin octobre, Jean-Luc Mélenchon publiait une vidéo parodique dénonçant le couvre-feu imposé à Marseille par le gouvernement sur fond de Bande Organisée de Jul via sa chaîne Tiktok pour attirer l’attention des jeunes français.
Du Président français aux forces israéliennes, en passant par les néonazies ou l’Etat Islamique, tout le monde est sur Tiktok, pour le meilleur et pour le pire.
Mais l’application devient surtout le terrain d’expression d’une génération préoccupée par les questions d’ordre social, et qui s’empare de sujets d’actualité brûlants pour faire bouger les choses.
Après le décès de Georges Floyde, les Etats-Unis se mobilisent dans la lutte contre les inégalités, et le mouvement contre les violences policières est rapidement approprié par une cohorte de jeunes du monde entier, transformant Tiktok en l’un des amplificateurs de dénonciation de la haine et du racisme. Des stars de la plateforme aux millions d’abonnés tels que Charlie D’Amelio, Bryce Hall ou des membres de la Hype House prennent la parole pour sensibiliser les masses. Tiktok devient alors un vecteur d’engagement et le hashtag #blacklivesmatter apparait plus de 22 milliards de fois sur la plateforme.
TikTok façonne les élections américaines
Double récession économique, crise des réfugiés, pandémie mondiale, et surtout changement climatique en toile de fond, les moins de 25 perdent confiance en leurs dirigeants politiques incapables de gérer cette succession de crises. De ces préoccupations cruciales relève alors une décision importante pour la génération Z : le choix de ses prochains représentants.
Aux Etats-Unis, alors que les élections présidentielles battent leur plein, Tiktok devient le moteur d’expression politique de la jeunesse progressiste comme des conservateurs. Un lieu de recrutement pour rallier à son parti et promouvoir son candidat favori. Et des comptes TikTok comme TheRepublicanHypeHouse, ConservativeHypeHouse et TheDemocratHypeHouse, deviennent des sources importantes d’informations politiques pour les jeunes à l’aube des élections.
De nombreux adolescents américains développent leur propre point de vue de la politique et utilisent la plateforme pour former leur alliance alors même qu’ils n’ont pas encore l’âge légal pour voter. « Votre âge ne vous empêche pas de participer à ce qui se passe aujourd’hui et d’essaye d’impliquer d’autres personnes dans ce qui se passe aujourd’hui » a déclaré Julia Juarez, 16 ans, membre de l’équipe de direction du groupe.
Début octobre, un groupe de 200 tiktokers de la génération Z a créé un compte de soutien dénommé @TikTokForBiden pour exhorter ceux qui le peuvent, à voter pour le candidat démocrate à la présidentielle le 3 novembre. Trois semaines plus tard, le groupe était déjà suivi par plus de 800 000 abonnés.
Le logo accompagné des mots « Gen Z for Biden », ou l’éléphant de la Hype House républicaine deviennent alors le symbole d’une orientation politique ostentatoirement affichée sur les réseaux sociaux par les communautés de la plateforme.
À l’inverse, Tiktok est également une arme puissante pour empêcher un parti de gagner du terrain.
En Juin 2020, en pleine campagne électorale, un groupe de fans de K-pop a participé au flop participatif du rassemblement de Donald Trump à Tulsa. La participation, très faible, a été attribuée à une « armée d’utilisateurs » du réseau social ayant organisé sur l’application, un sabotage en encourageant le plus de personnes à effectuer de fausses réservations sur la plateforme d’enregistrement en ligne gratuit du meeting.
Dans ce sillage, Claudia Conway (tiktokeuse au 1,5 million d’abonnés) est devenue le nom de la politisation de Tiktok durant les élections américaines. À seulement 15 ans, elle prend une place inattendue dans la campagne présidentielle en révélant sur sa chaîne Tiktok que sa mère, et ancienne conseillère de Donald Trump, a été testée positive au Coronavirus, accusant la minimisation du virus par le gouvernement. Ayant clamé à plusieurs reprises détester l’actuel Président des Etats-Unis, elle devient l’idole des démocrates et l’ennemi de la Maison Blanche, et cause la démission de ses parents Kellyanne et George Conway suite à la sur-médiatisation de l’affaire.
Ce contexte explique en partie pourquoi Trump a récemment annoncé l’interdiction de Tiktok aux Etats-Unis. Alors que certains blâment l’espionnage de la Chine ou son rôle présumé dans la pandémie de coronavirus, d’autres accusent le sabotage de la campagne présidentielle par les utilisateurs de la plateforme. Donald Trump a même répondu en diffusant des publicités anti-Tiktok sur ses pages Facebook et Instagram officielles, et son fils Donald Trump Junior, a validé Triller, le concurrent de la plateforme.
En quatre ans d’existence, TikTok est devenu le moyen le plus efficace pour une personne lambda de diffuser un message au public le plus large possible dans les plus brefs délais. La plateforme devient ainsi le symbole de la mouvance horizontale, challengeant encore une fois les carcans de la modernité.