Qu'est ce que la pop culture en 2020 ? Un entretien avec Sofia Slimani
Qu’est ce que la pop culture en 2020 ? Un entretien sur une jeunesse française avec Sofia Slimani.
Où en est la pop culture en 2020 et que nous dit-elle de la décennie qui commence ?
La pop culture est devenu un véritable Leviathan. Pas un sujet, pas une conversation, pas un domaine qui ne soit, au fond, devenu partie prenante de la pop culture. Food, beauté, retail, politique… tout est divertissement. La mode n’est pas épargnée. Les drops (sorties événementielles de produits en quantité limitée), les boutiques pop-ups ou les collabs sont traitées de la même manière que tout évènement culturel majeur. Au fond, tout se mélange, dans une totale horizontalité boostée par les réseaux sociaux qui jouent les accélérateurs de particules. Les industries s’hybrident entre elles, portées par une génération qui ne fait plus de distinction entre les catégories. Avec la culture internet, chaque news, chaque évènement, du Coronavirus à l’élection américaine, devient sujet de memes, de vidéos virales, les transformant en phénomènes pop, accélérant encore le rythme de cette frénésie culturelle.
Ne risque-t-on pas de se perdre dans cet incessant mélange des genres ?
Nous sommes entrés de plein-pied dans l’ère du crossover. Et cela va encore s’amplifier. En raison de la multiplication des contenus, les consommateurs arrivent à saturation. Leur « cultural FOMO », la peur de passer à côté du prochain must-have culturel, est à son comble. Peut-être jusqu’au dégoût et à l’envie de tout stopper ? Pour les marques et créateurs de contenu, c’est en effet un challenge. Comment capter l’attention sans créer d’effet de saturation ? La bonne nouvelle, et le revers positif de cette culture de la profusion, c’est ce que ce grand mélange offre en parallèle de plus en plus de visibilité pour les cultures et créateurs venus du continent africain, asiatique, sud-américain, et donc moins de lissage.
La victoire aux oscars du film sud-coréen « Parasite » commentée par Donald Trump, #MeToo, les nouvelles icônes LGBT+ ou body positive : la pop culture est-elle devenue politique ? qu’est-ce qui a changé ?
Tout ! tout a changé ! Des minorités jusque là invisibilisées peuvent se faire entendre, par le biais des réseaux, bien sûr, mais aussi avec les podcasts ou les documentaires, qui sont les nouveaux mastodontes pop. Et il y a désormais une forte attente face aux produits culturels, une demande d’inclusivité, de représentativité, d’agilité à répondre aux sujets de société. On l’a vu avec le succès phénoménal d’un film comme « Black Panther », qui célébrait les talents afro-américains aussi bien devant que derrière la caméra. Ou encore avec une série comme « Morning Show », produite par Apple TV+, qui s’empare du sujet #MeToo avec succès. C’est la force de la pop culture contemporaine : elle synthétise à toute allure l’humeur de l’époque. Et quand elle ne le fait pas… Eh bien, nous sommes entrés dans une ère du backlash, du retour de bâton immédiat, et les critiques fusent sans attendre. Il suffit de voir le tollé causé par la dernière cérémonie des oscars, qui a snobé les réalisatrices pourtant en force cette année avec les films de Lulu Wang ou Greta Gerwig, entre autres. Ou, chez nous, critiques soulevées par les derniers Césars.
Quels seront les prochains talents qui feront bouger les lignes ? les sujets qui vont alimenter la pop culture dans les années à venir ?
L’idée du contenu réalisé par une minorité, pour une minorité, va je pense, de plus en plus prendre de place. Cette idée du «for us, by us ». Les artistes de la génération montante ne veulent plus attendre que les institutions en place parlent pour eux et s’émancipent en produisant leur contenu sur-mesure. C’est le cas d’une Akwafina : l’actrice sino-américaine produit désormais elle-même ses projets. Je pense aussi à Ramy Youssef et sa série « Ramy» qui bouscule les stéréotypes sur les hommes musulmans. La génération montante veut des icônes qui osent être elles-mêmes : comme la chanteuse Lizzo ou le rappeur Lil Nas X, qui affichent leur différence avec fierté… et trustent les charts du monde entier.
D’autres pistes ?
L’idée de mettre la culture au service du bien commun. On le voit avec des événements comme Ze event , « le téléthon du jeu vidéo », qui propose de s’adonner au gaming en échange de dons reversés à des associations. Une série comme « Sex Education », une production anglo-américaine sur Netflix, a aussi montré l’exemple. Pour sa saison 2, la série a édité un guide sur la sexualité à destination des ados, hyper bien fait, mis en image par la photographe Charlotte Abramow. Le guide est didactique, drôle, accessible à tous – un exemple bluffant de fiction transformée en outil de communication positive. Enfin, le dernier enjeu majeur va être la question du bien-être mental, qui en ce moment préoccupe toutes les industries. Des séries traitant du malaise adolescent (« Euphoria », « 13 reasons why ») aux stars pop de plus en plus nombreuses à témoigner sur leur dépression ou addiction (Kanye West, Sophie Turner, Justin Bieber…), on voit que cette question de la crise existentielle, est centrale.
A coup de memestélescopant Donald Trump et Britney Spears, ce compte Instagram « pop-liticalement incorrect » illustre la façon dont politique et pop-culture sont devenus indissociables.
Le dernier phénomène signé Netflix. Derrière le sujet a priori banal – le parcours d’une équipe de cheerleading – un portrait de personnalités hors normes qui rappelle combien les documentaires sont devenus les poids lourd de la culture contemporaine.
Attention, surdouée ! A l’origine de clips les plus marquants de Beyoncé ou Rihanna, la réalisatrice américaine a signé en 2019 un premier long remarqué (« Queen and Slim ») et incarne ce nouvel Hollywood qui milite pour la visibilité de toutes les minorités.
Un podcast français et féministe qui dissèque la culture actuelle. Hyper-frais !
Je suis très intriguée par cette nouvelle proposition de streaming pour smartphone, pensée par un duo passé par HP et Disney, qui ambitionne de proposer des formats ultra-courts (10-15 minutes). Une illustration du « toujours plus vite, toujours plus accessible ».
Image à la Une : © Sex Education, Netflix