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Chloé Delecolle 20.03.23

Watercore : le chant des sirènes

Décryptages

Puisque chaque tendance s’accompagne désormais du suffixe ‘core’ et d’une micro-communauté qui – à la manière des fidèles d’un culte – étend ses codes et ses interprétations ; permettez-nous de vous présenter #watercore ! Cette tendance esthétique célèbre la beauté et la puissance de l’eau en puisant son inspiration dans le monde océanique et en adoptant la sirène comme symbole. Ophélie Lepert, consultante Insights de NellyRodi, nous explique.

Bien que la fascination pour l’eau, son imaginaire et ses représentations ne soient pas franchement une nouveauté, ils sont devenus particulièrement significatifs ces derniers mois. Le mouvement #mermaidcore, initié l’année dernière, se prolonge en 2023 sous l’impulsion notamment du 2ème volet d’Avatar sorti en décembre 2022 et des nombreuses évocations océaniques dans les défilés des dernières Fashion Weeks. Avec la sortie – prévue en juin 2023 – de l’adaptation moderne de la Petite Sirène par Disney, le #mermaidcore n’est pas près de s’arrêter.

@bodyandstyle This is a detailed breakdown of mermaidcore into its elements to help your purse and the planet #mermaidcore #mermaidaesthetic #aestheticbreakdown ♬ TQG – KAROL G & Shakira

 

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Mais comment expliquer un tel engouement ? Quelles adaptations et déclinaisons nourrissent cet univers ?

Cette tendance #mermaidcore s’inscrit dans une fascination et un intérêt global pour l’eau.

Pour nous et pour toutes les autres espèces – faune et flore, l’eau est une ressource indispensable, vitale. Elle compose 65% de nos corps et recouvre 72% de la planète bleue. C’est avant tout dans une sorte de quête des origines – comprendre d’où l’on vient et comment l’on fonctionne – que s’organise cette revalorisation de l’eau… Face aux dangers imminents du dérèglement climatique.

L’eau, si nécessaire à la vie, est partout. Parfois même là où elle ne devrait pas être – lors des phénomènes de montée des eaux ou des tsunamis. Et pourtant, elle est de plus en plus rare, en témoignent l’absence de pluie en France pendant 32 jours en plein hiver, ou toutes les sécheresses, chaque été, dans le monde entier. Autrefois tourné.es vers la protection de nos terres, nous nous rendons peu à peu compte que, si l’Amazonie est l’un des poumons de la planète, nos océans en constituent le deuxième organe vital et produisent plus de la moitié de l’oxygène que nous respirons.

 

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Depuis cette prise de conscience, les actions positives pour protéger les fonds marins et leurs habitats sont de plus en plus nombreuses. Le documentaire « Baleines, les gardiennes de la planète », projeté en salle le 22 février 2023, éclaire sur le massacre des cétacés, la pollution des océans et le lien entre la survie des baleines et la nôtre. Durant les 3 heures du film « Avatar 2 : la voie de l’eau » de James Cameron, des péripéties prennent place dans un environnement marin menacé par l’Homme. Les images fabuleuses de ce monde imaginaire – et finalement pas si différent du nôtre – nous transmettent des messages forts sur la préservation des océans. Peu à peu, nous prenons conscience de la préciosité de l’eau et nous nous ré-émerveillons de sa beauté, confronté.es à son déclin.

C’est un fait : nous ne connaissons presque rien des fonds marins. Cela laisse libre cours à notre imagination qui créé un monde onirique, coloré et peuplé de créatures magiques. Ce monde enchanté, aux traits fantastiques, nourrit les contes et légendes depuis toujours (Kraken, Léviathan, Charybde et Scylla, La Petite Sirène de Hans Andersen), et plus récemment les films et les dessins animés : l’interprétation de La Petite Sirène par Disney (1989), le film d’animation Luca (2021) du studio Pixar ou encore Avatar 2 (2022).

 

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La sirène : un mythe à l’ancrage politique actuel

Les sirènes alimentent notre imagination depuis des centaines d’années et sont présentes, sous différentes formes, dans toutes les cultures et les folklores. Dans l’Iliade, elles ont un corps d’oiseau et une tête de femme, tandis que dans les croyances nordiques et africaines, elles vivent sous l’eau et possèdent une queue de poisson ou de serpent. Malgré leurs représentations variées, les sirènes y ont des points communs : une aura malfaisante et un pouvoir de séduction et d’envoûtement sur les hommes. À l’instar de nombreuses créatures mythologiques féminines – Ève, Médusa, Daphné, et plein d’autres – les sirènes incarnent les conduites caricaturalement associées au genre féminin : séduction, luxure, désir… Qu’elles utilisent pour dominer (tuer) les hommes. Les versions actuelles sont heureusement moins sinistres – mais conservent ce même message féministe de reprise de contrôle des femmes sur les hommes.

Pour son adaptation moderne de la Petite Sirène, Disney a décidé de travailler avec Halle Bailey. Les premiers visuels (sortis en 2019) du film avaient suscité une virulente polémique sur le choix de l’actrice et chanteuse noire pour incarner Ariel. Sur TikTok, le hashtag #NotMyAriel cumule 15 millions de vues. Les internautes accusent Disney de ‘racebending’ – qui consiste à utiliser un.e acteur.rice d’une origine différente du personnage qu’iel interprète – pour se donner une imagine inclusive. Pour eux, une sirène noire n’a pas lieu d’être, et encore moins dans le rôle d’Ariel, danoise, blanche aux yeux bleus. Pour les militants antiracistes, les sirènes sont des créatures imaginaires qui n’ont donc pas de couleur de peau définie. Elles existent dans tellement de cultures différentes qu’une sirène noire, à l’image de la divinité marine africaine Mami Wata, est légitime. Face au manque de représentations des personnes noires dans les productions visuelles, ils saluent ce choix de Disney.

 

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Au-delà de ces enjeux féministes et de représentations noires, les sirènes sont aussi perçues comme icones Queer. Pour terminer sur La Petite Sirène, dans le conte originel paru en 1837, Ariel serait la personnification d’Hans Andersen, l’auteur, épris du prince Eric, Edvard Collin dans la vraie vie. Andersen a écrit de nombreuses lettres lui avouant ses sentiments, sans réciprocité de la part d’Edvard. Dans le conte, pour séduire Eric, Ursula dit à Ariel qu’elle doit changer sa nature – et même perdre sa queue, une métaphore qui, au vu du contexte, n’est pas anodine. Les sirènes n’ont pas de genre défini : femme, homme, genderfluid, genderless, on ne sait pas réellement. Leur genre est donc ouvert à toute identification. À la façon des licornes, les sirènes aux couleurs de l’arc-en-ciel sont devenues un symbole inclusif pour les personnes queer.

#Mermaidcore, un territoire esthétique puissant qui s’installe de plus en plus dans les industries créatives

Le #mermaidcore s’inscrit dans un paysage politisé et défend des valeurs fortes avec ses esthétiques associées.

La tendance Y2K (années 2000) n’a toujours pas fini de creuser et d’interpréter les codes du passé. Le Mermaidcore serait la suite logique du SeaPunk (2010), un sous-genre de mode créé sur les réseaux sociaux, et plus particulièrement sur Tumblr, qui mélange esthétiques psychédéliques et références à l’univers aquatique : couleur bleue, dauphins, coquillages, etc.

Aujourd’hui, le #mermaidcore et le #watercore regroupent toutes les tendances esthétiques autour de l’océan et des sirènes. Lors des dernières Fashion Weeks (SS23 et FW 23/24), les détails d’inspiration aquatique étaient omniprésents sur les podiums. Au défilé SS23 « Underwater » de Blumarine, les jambes des modèles étaient allongées par de longs pans de jean et autres tissus bleus, adornés de froufrous vaporeux, non sans rappeler les queues et nageoires des sirènes. Un soutien-gorge coquillage dépassait d’un haut entrouvert, et des accumulations de cordes à la façon de filets de pêche ficelaient les corps des mannequins, le tout dans une scénographie bleue évoquant les profondeurs de l’océan. Pour sa collection SS23, nommée « Aqua Love », Vaillant Studio a également repris les codes marins. Certains motifs et textures évoquaient des écailles de poissons ou des queues de sirènes, et le shooting de la collection mettait les mannequins en scène dans l’eau. Enfin, pour son défilé FW 23/24, les mannequins de Di Petsa avaient des airs de déesses des océans. Les silhouettes étaient allongées et les vêtements et cheveux avaient un effet mouillé, comme si elles venaient de sortir de l’eau avant de rejoindre le podium.

 

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Cette tendance séduit aussi les célébrités. En septembre dernier, Julia Fox s’est rendue au défilé de Parsons MFA habillée dans une tenue de sirène – littéralement. Des coraux transparents cachaient sa poitrine, et le reste de son corps était couvert d’un tissu irisé, agrémenté de fausses algues, qui se finissait en forme de queue. Dua Lipa a posté des photos d’elle vêtue d’une robe en jean allongeant sa silhouette, et qui s’évase vers le bas. Couplée à sa chevelure noire, cette tenue lui a valu le surnom de ‘dark mermaid’.

 

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Sur TikTok, les internautes partagent entre eux leurs meilleurs tips pour adopter le look de sirènes, et les hashtags #wetlook et #sireneyes ont généré respectivement 530 millions et 1 milliard de vues.

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