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Joséphine Fuzeau 22.01.21

Yukaisation : La transparence à tout prix

Décryptages

En trois ans seulement, Yuka – l’application qui décrypte la composition et l’impact santé des produits alimentaires et cosmétiques a déjà séduit près de 2 français sur 10.

La vague de la transparence déferle aussi sur le secteur de la mode avec l’apparition de nouvelles applications, startups et agences encourageant à « consommer moins et mieux » en apportant de la lisibilité aux clients sur l’impact écologique de leur achat. Cette « Yukaisation » de la société fait écho à un cadre législatif soutenant l’étiquetage environnemental pour tous les secteurs. Dans un monde où la stratégie des marques se joue sur la sincérité de leurs engagements, quels sont les enjeux de ce nouveau marché de la transparence ?

Normaliser la transparence pour répondre au besoin de lisibilité

Engagé en 2009 dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le dispositif d’affichage environnemental volontaire fut repris dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et au soutien de l’économie circulaire. Rapidement instauré depuis fin 2013 sur une trentaine de catégories dont l’habillement, un projet pilote sur l’étiquetage environnemental de 18 mois est ensuite lancé de février 2020 jusqu’août prochain.

Dans l’habillement, la note de A à E visible sur l’étiquette, est obtenue à partir de la base de données de l’ADEME et de l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) des produits comprenant des indicateurs sur l’émission de gaz à effet de serre et de pollution de l’eau. L’objectif de cet outil pour les marques ?  Surmonter la crainte des consommateurs d’un « greenwashing » en apportant des preuves à leurs discours, renforcer un lien de confiance avec leurs communautés et augmenter leur performance économique.

En 2017, la moitié des consommateurs étaient prêts à débourser au moins 20% de plus pour un produit noté A plutôt que B ! L’exigence de transparence des consommateurs augmente :  en juin 2020 la convention citoyenne pour le climat constituée de 150 Français tirés au sort, propose de supprimer les labels privés dans l’alimentation et de créer une obligation d’affichage de l’impact carbone des produits et services (98,8% de Oui sur 147 personnes). Préparer sa transparence devient un axe stratégique majeur pour les marques et demande un accompagnement sur le long-terme.

Choisir son partenaire de transparence

MoralScore (DeepScore) – application gratuite de scoring éthique personnalisé en fonction des valeurs de chaque consommateur – a réalisé son algorithme à partir des objectifs de l’ONU pour évaluer de nombreux secteurs : habillement, smartphone, jouets… Au-delà des critères sociaux et environnementaux, l’algorithme intègre l’optimisation fiscale, l’inclusivité mais aussi l’opinion et la réputation des marques évaluées à partir d’informations publiques.

Véritable observatoire de l’éthique, DeepScore accompagnera bientôt son application gratuite d’offres payantes : DeepScore Finance pour orienter les green investissements, DeepScore Bank pour évaluer l’impact de la consommation de chacun à partir de ses achats, et DeepScore Certification pour ajuster la note des entreprises en collaborant avec celles-ci.

Clear Fashion – application gratuite de scoring éthique dans la mode uniquement- a procédé à une levée de fonds auprès d’investisseurs non-issus de l’industrie du textile et de l’habillement, pour garder son indépendance. « On ne peut pas être juge et parti » intervient Rym Trabelsi, une des co-fondatrices. Leur méthodologie, construite à partir de travaux de recherches (dont ceux de l’Ademe) a été validée par des experts du secteur (ici pour en savoir plus). Clear Fashion entend devenir un acteur majeur dans l’affichage social & environnemental en proposant une licence aux marques sur les étiquettes et la diffusion de leurs scorings.

La jeune startup Contreeb a conçu une plateforme intuitive B2B calculant, en quelques secondes, l’impact carbone des produits à partir de l’ACV (analyse de Cycle de Vie). A partir du volume carbone obtenu, Contreeb propose aux marques des liens uniques sur leurs fiches produits et bientôt des étiquettes environnementales en boutique pour chaque modèle. Leur objectif est d’aller au-delà de l’évaluation en facilitant la compréhension des enjeux écologiques. Elle se traduit par l’acceptation d’un prix final plus élevé dû aux efforts fournis pour être « carbone neutral ».

Pratiquant aussi l’ACV, Fairlymade – une agence d’écosourcing– conseille opérationnellement les marques sur la réduction de leur empreinte à chaque étape de leur chaîne de valeur et sur leur communication-client.  Parmi ses clients : Asphalte, Prescription Lab et Des Petits Hauts. Si la technologie facilite l’évaluation, rien ne vaut un bon cerveau pour apporter des solutions concrètes !

Définir le seuil d’acceptation des biais de la transparence

A la différence de Yuka, qui refuse toute communication avec les marques, Moralscore et Clear Fashion les avertissent lors de la publication de leurs évaluations réalisées à partir des données publiques. Elles les invitent même à collaborer pour ajuster leur note. Pour Ahmad Isber, co-fondateur de Contreeb, la difficulté à collecter des data chez les marques rend compte du retard de la mode sur la traçabilité de leurs données produit. Aujourd’hui « seulement 40 à 60% des données de leurs logiciels de PLM (Product Lifecycle Management) sont correctes » (Interview de Ahmad Isber, co-fondateur de Contreeb, octobre 2020). Seules les marques ayant déjà travaillé avec des labels sont préparées.

La transparence est limitée par les data disponibles mais aussi par l’analyse irrémédiablement subjective. Lorsque Moralscore propose un scoring éthique personnalisé en fonction d’un test de personnalité, c’est la question d’une « morale » émanant d’une instance supérieure experte en tension avec la perception de chacun. Pour Rym Trabelsi de Clear Fashion « si on demande à chacun d’entre nous de définir un vêtement responsable, il y a un risque que ça ne fasse pas avancer les choses étant donné que les consommateurs n’ont pas toutes les informations sur les problématiques et enjeux du secteur de la mode… » (Interview de Rym Trabelsi, octobre 2020)

Qu’ils soient face aux clients ou aux marques, ou les deux, les nouveaux acteurs de la transparence légitiment leurs évaluations subjectives en soulignant leur affiliation avec les instances publiques censées être plus « objectives ». Pourtant, après discussion avec les marques, le gouvernement a décidé de lancer le projet pilote d’étiquetage environnemental en remplaçant sur la notation les couleurs vert/rouge ultra-lisibles pour le client, par un bleu moins stigmatisant. Dès lors, comment éduquer le consommateur si la normalisation de la transparence est biaisée dès le départ par le lobbying de ceux qui seront ensuite jugés ?

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